Les Lois de l’esthétique industrielle de Jacques Viénot

Révisons les classiques du design…

« La France est vieille, chefs d’industrie, ingénieurs, constructeurs, la concurrence étrangère vous guette ! »
Ce slogan n’est pas celui d’un des candidats aux élections presidentielles actuelles. Il est extrait de la première publicité apparue pour la societe Technès dans la revue « Art présent » en 1948, qui proposait aux entreprises d’assurer « aux ouvrages l’apparence extérieure qui fait vendre » dans le contexte de modernisation et de reconstruction de l’après-guerre.

Jacques Viénot (1893-1959), le fondateur du bureau d’étude technique et esthétique Technès, est un designer français. Cet ancien administrateur du magasin Le Printemps, inspiré par les modèles américains et anglais et par les méthodes de Raymond LOEWY, a fondé en 1949 ce que l’on peut considérer comme la 1ère agence de design industriel en France, par laquelle est passé le designer Roger TALLON (voir à ce sujet notre article).
En 1951, il a créé l’Institut d’Esthétique Industrielle (première tentative de traduction de l’américain « industrial design »), devenu en 1972 l’IFEI, dont le but est de faire progresser les produits de l’industrie française grâce au design au travers notamment de la Revue d’Esthétique Industrielle, renommée en 1965 « design industriel« .

L’IFEI (devenu en 1984 l’Institut Français du Design, à l’arrivée de sa nouvelle présidente Anne-Marie Sargueil), a publié en 1952, sous l’impulsion de J. Viénot, un code de déontologie réalisé par une commission composée d’architectes, industriels, stylistes, philosophes et visant à codifier les pratiques du métier de designer en France.

Ces lois, même si les métiers du design ont aujourd’hui grandement évolué dans leurs domaines d’action, leurs outils et méthodologies, restent un socle universel pour la conception de produits de qualité.
Nous vous livrons ici un résumé de cette charte, que vous pouvez consulter plus en détail sur le site de l’IFD.


La charte de l’esthétique industrielle

  1. Loi d’économie : économie des moyens et des matières employées (prix de revient minimum).
  2. Loi de l’aptitude à l’emploi et de la valeur fonctionnelle : harmonie intime entre le caractère fonctionnel et l’apparence extérieure.
  3. Loi d’unité et de composition : les différents organes constituant un ouvrage utile doivent, sur leur plan respectif, être conçus les uns en fonction des autres et en fonction de l’ensemble.
  4. Loi d’harmonie entre l’apparence et l’emploi : il doit toujours y avoir harmonie entre la satisfaction esthétique que ressent le spectateur et la satisfaction que l’ouvrage donne à celui qui l’emploie.
  5. Loi du style : L’esthétique d’un produit industriel doit tenir compte de la durée à laquelle il sera adapté. L’influence de la mode est artificielle et ne peut donner un caractère de beauté durable.
  6. Loi d’évolution et de relativité : La beauté de l’ouvrage utile est fonction de l’état d’avancement et de l’évolution des techniques qui l’engendrent. Toute technique nouvelle nécessite le temps de la maturation avant de trouver une expression esthétique équilibrée et typique.
  7. Loi du goût : L’esthétique industrielle s’exprime dans la structure, la forme, l’équilibre des proportions, la ligne. Les matières, détails de présentation, couleurs relèvent davantage du goût qui doit en être l’heureux complément.
  8. Loi de satisfaction : Les fonctions qui donnent sa beauté à l’ouvrage utile s’expriment au travers de tous nos sens : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût.
  9. Loi du mouvement : Les véhicules trouvent dans le mouvement la caractéristique essentielle de leur esthétique. Le facteur de comportement dans l’élément considéré (terre, eau, air) domine les autres bases du jugement.
  10. Loi de hiérarchie ou de finalité : L’esthétique industrielle ne peut faire abstraction de la finalité des ouvrages produits industriellement. Les productions qui possèdent, en raison de leur objet, un caractère de noblesse et qui sont de nature à aider l’homme à progresser, ou qui sont susceptibles d’avoir une influence salutaire dans le domaine social, jouiront d’un préjugé favorable.
  11. Loi commerciale : L’une des applications les plus importantes de l’esthétique industrielle est sur les marchés commerciaux. La loi du plus grand nombre des acheteurs ne saurait infirmer la valeur des lois définissant l’esthétique industrielle. La vente ne saurait être considérée comme un critère de la valeur esthétique. Lorsqu’elle en est la consécration, elle témoigne l’égalité de niveau entre le créateur du modèle et l’acheteur, toute considération de prix mise à part.
  12. Loi de probité : L’esthétique industrielle implique honnêteté et sincérité dans le choix des matières ou matériaux employés. Une réalisation industrielle ne saurait être considérée comme belle, dès lors qu’elle contient un élément de mensonge, de dissimulation, de tromperie. Toutefois, les revêtements et les carapaçonnages exigés fonctionnellement par une réalisation industrielle sont légitimes lorsqu’ils expriment correctement les fonctions essentielles de l’objet et qu’ils ne servent pas à dissimuler des matériaux ou des organismes susceptibles de compromettre le bon fonctionnement ou la valeur de l’objet.
  13. Loi des arts impliqués : L’esthétique industrielle implique une intégration de la pensée artistique dans la structure de l’ouvrage considéré. Loin du décor plus ou moins arbitraire ou artificiel ou surajouté des arts appliqués, les arts qui concourent à l’esthétique industrielle peuvent singulièrement être dits impliqués dans le modèle à concevoir, faisant corps avec la technique et se confondant avec elle.



60 ans après avoir été posées, ces principes synthétisés en ‘‘les 5 E’’ pour Esthétique, Ergonomie, Économie, Éthique et Émotion, et auxquels il faut à présent ajouter la mention d’Ecodesign, servent toujours de référence à l’IFD pour décerner les prestigieux labels Janus, avec le soutien de l’ADEME.
Force est de constater que nombre d’industriels français pourraient à nouveau s’en inspirer, sur les traces de Jacques Viénot, face aux défis commerciaux et économiques actuels…



* Lire le livre indispensable de Jocelyne Le Boeuf « Jacques Viénot , 1893-1959, pionnier de l’esthétique industriel »

* Le site de l’Institut Français du Design

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