L’édition design douée de sens – Interview de Valérie GONOT et François MANGEOL, Edition sous Etiquette

L’essentiel :

  • A l’échelle d’une PME, il est possible de produire en France, que ce soit un tapis, des câbles d’alimentation électriques ou des ampoules, etc., et cela ne coute pas nécessairement plus cher que de faire venir les éléments d’une centrale de regroupement. Les savoir-faire existent en France et les sous-traitants ont le désir de prouver leur savoir faire.
  • La principale difficulté –et la partie ingrate du travail- est de monter un réseau de revendeurs, les détaillants français sont dans leur majorité peu enclins à prendre des risques, alors qu’à l’étranger la marque « Made in France » ouvre plus de portes.
  • Le secteur de l’ameublement français nécessiterait de se moderniser, et à l’image du secteur de la mode et du textile être un bras de levier pour soutenir la création et l’innovation par le design dans l’art de vivre, par exemple avec des outils fiscaux et une politique de soutien à la production/diffusion accessible à toute une partie du secteur constitué de TPE et PME.
  • La « slow production » est un moyen de travailler l’objet par le sens, par l’histoire de sa conception, en opposition à des phénomènes de mode trop éphémère : consommer en toute connaissance de cause.



Une jeune garde de l’édition design est apparue ces dernières années en France, comme nous l’évoquions dans plusieurs de nos articles récents… Edition sous Etiquette en est un représentant remarquable tant par la qualité de ses produits que par sa démarche.
Le métier, mal connu, de l’édition design consiste à miser sur un talent, de sélectionner et mettre en place les collaborations avec les fabricants, et de diffuser les objets en question auprès des canaux de distribution adaptés.
Edition sous Etiquette a pour caractéristique de miser sur des talents émergeants, et de leur donner l’opportunité de développer un travail d’auteur. Les étiquettes des produits sont le reflet de la genèse de l’objet : elles portent le récit du projet et font le lien entre la maison d’édition et son public. On parle bien là d’objets pensés, loin de la grande consommation, mais sans pour autant être dans l’élitisme ou le luxe… Le résultat : des objets remarquables de sensibilité, d’aboutissement dans la réflexion, de singularité. Une qualité reconnue puisque le Fonds National d’Arts Contemporain a fait l’acquisition du premier tapis Occidorient, l’objet fondateur de la société.

Valérie GONOT et François MANGEOL nous expliquent aujourd’hui leur démarche et un aperçu concret de cette facette du design.

Q. : D’où vous est venu le désir de vous lancer dans ce pari qu’est l’édition design ?
Valérie GONOT : Tout est parti de notre rencontre avec François.
Je viens pour ma part de l’industrie métallurgique (la fabrication de ponts roulants…), et je gérais en parallèle le « 9Bis », un lieu d’art contemporain, orienté vers la production d’exposition.
En 1998, lors de la biennale du design de Saint-Étienne, j’ai vu énormément de projets de jeunes designers qui n’allaient trouver aucun éditeur. J’ai été désagréablement surprise par le manque de possibilités offertes aux designers de voir leurs projets édités et de moyen pour la création de s’exprimer et se diffuser. Il faut dire que je garde de mon enfance en Italie l’idée d’un design accessible culturellement à tous, ce qui n’est vraiment pas le cas en France…
J’avais en tête le modèle de Danese.

C’est 10 ans plus tard, en rencontrant François autour de son projet de tapis « Occidorient », que je suis passée du constat à l’envie d’agir : j’ai immédiatement retrouvé chez lui les mêmes valeurs autour des objets :
– La valorisation des savoir faire locaux au travers de l’édition d’objets
,
– Un sourcing au plus proche de chez nous pour un travail en étroite collaboration avec des ateliers artisanaux ou industriels,

- La promotion du design d’auteur et le soutien à la jeune création.

François MANGEOL : J’ai pour ma part suivi des études scientifiques, puis j’ai changé d’orientation et suis passé au design par une formation à l’école supérieure d’art et design Saint-Etienne.
Le tapis « Occidorient » était un de mes projets de diplôme. J’ai travaillé pendant 1 an et demie à sa mise au point avec la manufacture de Moroges, grâce au double financement par une bourse et la prise en charge par l’atelier…


Le motif du tapis, dans son exigence de transcription représentait un challenge pour l’atelier. De nombreuses pistes ont été explorées, en France et à l’étranger, des pays à forte tradition de production de tapis. Et c’est après de nombreux essais infructueux que nous avons mis en place une nouvelle méthode de transcription du motif qui a permis sa réalisation. C’est cette collaboration extrêmement proche avec la manufacture de Moroges, ses chefs d’ateliers et ses opératrices, qui a permis d’atteindre le niveau d’exigence que je souhaitais. C’est grâce à ce savoir-faire et cet entêtement que ce tapis fait aujourd’hui partie des collections nationales d’art contemporain françaises.
Tapis Occidorient

Q. : Quelle est cette idée des objets à éditer dont vous parliez ?
ESE : Nous vivons dans un monde saturé d’objets. Nous ne souhaitons pas proposer qu’un objet de plus sur le marché mais nous voulons transmettre un supplément d’âme au public, lui rappeler que l’objet est issu du regard d’un auteur-designer et d’un rapport à la production. En d’autres termes, on peut encore produire en France car notre pays regorge d’excellents ateliers dans des savoir-faire très variés qu’ils soient dans l’industrie de pointe ou dans l’artisanat.
.
Dans la mécanique de précision par exemple, les sous-traitants sont heureux de pouvoir se diversifier. Ils sont fiers de démontrer leur savoir faire, et c’est ce que nous cherchons à faire apparaître sur nos étiquettes…
Il y a un vrai vivier créatif et productif en France mais la prise de risque française est extrêmement faible…

Q. : A partir de ce constat, comment la mise en œuvre du projet d’entreprise s’est-elle déroulée ?
ESE : A partir d’une envie de départ, d’un brin d’utopie, puis nous avons ajusté selon l’économie de marché…
Notre philosophie est d’être avant tout attentif à trouver un équilibre entre notre capacité d’investissement, notre capacité de production, et l’absorption par le marché…
C’est notre idée du slow design : il faut s’arrêter sur le sens des choses plutôt que de courir à la nouveauté pour la nouveauté.

Cela demande une précision d’horlogerie, et un réajustement en permanence pour que cela marche… Comme une Ferrari ou un cheval de course qui après chaque sortie repasse par l’écurie pour être finement ajusté.
Nous avons ainsi monté en 6 mois notre 1ère collection, que nous avons lancée publiquement lors de la biennale internationale de St-Etienne 2010.


La vraie difficulté se trouve au niveau de la distribution : les détaillants jouent difficilement le jeu en France, il faut absolument leur donner toutes les assurances… Mais à l’étranger c’est plus facile, la marque « Made in France » nous aide énormément ; c’est un peu le cas en France aussi mais plus timidement : nul n’est prophète en son pays !

Q. : Comment collaborez-vous avec les designers ?
ESE : Nous ne transmettons pas au designer un brief, mais nous recherchons un design d’auteur : nous attendons de lui qu’il apporte ce que peut représenter un objet. Le dialogue avec le dessin est la clef d’entrée, et non le regard commercial de prime abord. Nous éditons des objets narratif, mais jamais bavard… Le sens avant tout !
Les mots clefs seraient des objets d’usage, entre art et design, chargés d’un regard contextuel pertinent sur notre société…

La pertinence est importante car le designer prend une position en fait politique : il s’inscrit dans un enjeu sociétal. D’ou l’idée de raconter une genèse…
Depuis 2 ans que nous œuvrons, nous avons construit cette démarche sans faire appel jusque là à des designers renommés. Nous n’avons pas cherché à capitaliser sur une signature mais nous l’avons bâtie par le sens de chaque projet.

Q. : Qui sont vos fournisseurs ?
ESE : Nous choisissons nos fournisseurs en fonction des exigences de chaque projet. Nous travaillons 2 collections :
– L’une destinée aux galeries, qui nous permet d’explorer les méthodes et savoir-faire du luxe (ex. : L’orfèvre Richard).
– L’autre en série, destinée à un plus large public et diffusée en boutique
.
Nous choisissons nos fournisseurs à partir de leurs compétences bien sur, mais également de leur engagement, de leur capacité à se prendre au jeu… Nous parlons ici de tous les fournisseurs, jusqu’à celui du câble d’alimentation électrique, qui est produit en France… C’est la preuve que l’on peut trouver une réponse locale, et que cela ne coute pas nécessairement plus cher que de le faire venir par des importateurs-grossistes.

La difficulté est ici de ne pas laisser le projet se dissoudre dans les équations économiques, de conserver le dialogue entre capacité à faire et capacité de production… Cela demande de la ténacité.

Q. : Un exemple ?
ESE : Prenons celui de la « main baladeuse » : nous avons collaboré avec 10 entreprises pour la réalisation de ce luminaire

  • Pour le mât
  • Pour le fil
  • Pour le douille
  • Pour le surmoulage de la prise
  • Pour l’emballage
  • Pour l’étiquette
  • Pour l’abat-jour
  • Pour la couture
  • Pour le ressort
  • Pour l’ampoule

Main Baladeuse

Q. : Parlons chiffres…
ESE : Nous avons démarré en SAS, sur fonds propre, avec un prêt bancaire (dans la région de Saint-Étienne les entreprises et les banques sont bien sensibilisées au design, ce qui facilite grandement les choses !) et une caution OSEO (obtenue grâce à la légitimité territoriale), après avoir monté un business plan tout ce qu’il y a de plus classique.
Nous sommes Editeur, et ne disposons à notre actif pas de brevet, mais de droits d’auteur.
Nous recherchons actuellement des fonds pour passer à l’échelle supérieure…
En partant de zéro il faut compter 3 ans pour affirmer une marque et trouver une légitimité dans le réseau de diffusion (boutique, galerie, grands magasins..) qui permettra de générer le chiffre d’affaire nécessaire pour atteindre le point mort.
D’ici là tout n’est qu’investissements financier et humains !

Q. : Quelle est votre vision de la situation du secteur ?
ESE : L’ameublement est un secteur terriblement traditionnaliste : une corporation puissante dans laquelle des petites structures telles que la nôtre ont du mal à se retrouver.
Il y a encore beaucoup de travail à faire pour permettre à de jeunes structures d’éditions de design de trouver une véritable reconnaissance économique (code APE inexistant, monographie du secteur inexistante etc.).
Il est presque impossible d’obtenir l’éligibilité au CIR (NDLR : Crédit Impôt Recherche) et autres dispositifs d’états contrairement au secteur textile qui lui est bien doté !
Quand l’on parle de design on parle pourtant bien d’innovation !
 Et pourtant lorsque l’on interroge OSEO cela semble très discutable.
Nous finançons nos prototypes et frais de recherches sans nulle aide extérieure : et on sait combien coûte la recherche et développement !
Heureusement il nous reste comme interlocuteur référent le VIA.
Si l’on compare par exemple la France et la Belgique le soutien apporté au design qu’il soit lié à une volonté politique ou dépendant de l’organisation du secteur de l’ameublement comme celui au quel nous sommes par nature rattaché, on s’aperçoit d’un grand déséquilibre au profit de nos voisins. La promotion qui est faite par des organisations comme Wallonie Bruxelle permet à des petits éditeurs d’être présent sur des salons professionnels sans avoir à financer le coût de location des stands. Ce qui est une part très importante des budgets d’une maison d’édition.

Q. : Quels sont vos prochains challenges ?
ESE : Nous avons un important matelas de projets à réaliser, issu de propositions spontanées de designers… Mais après 1 an et demie d’existence publique, 11 projets ayant généré 28 objets, notre problématique actuelle –et elle tient du combat- est de rendre les choses pérennes :
– étoffer le réseau est notre priorité (la couverture presse que nous avons eue nous évite d’avoir à légitimer notre existence).
– Continuer à construire (par opposition à consommer), et raisonner en termes d’empreintes, de mémoires et d’héritage…

On nous demande toujours « Quelles sont vos nouveautés ? »… Pour nous ce n’est pas la priorité. Il faut une prise de conscience de la part des acteurs du secteur (presse, diffuseurs, tendanceurs..) du caractère essentiel d’une « Slow attitude», ou plutôt de la slow production… Il faut laisser au public le temps de s’habituer à tous ces nouveaux objets, ces nouvelles formes , et de saisir les raisons qui expliquent un certain niveau de prix.
Autrement dit nous ne pouvons pas être là que pour nourrir le fonds, il faut également nous laisser le temps de trouver notre équilibre économique !

Q. : Quels conseils donneriez-vous aux patrons de PME/PMI ?
ESE : Le plus important pour nous est et reste la curiosité : savoir trouver le courage d’explorer de nouvelles voies, ne rien s’interdire, « produire plus raisonné », être innovant tant dans son produit que dans son attitude. S’obstiner !



Valérie, François, merci pour vos explications passionnées et passionnantes, nous vous souhaitons le succès que vous méritez dans le développement de votre aventure…


Fiche d’identification de l’entreprise

  • Nom : Edition sous étiquette (ESE)
  • Dirigeants : Valérie Gonot (Président) et François Mangeol (DG)
  • Secteur : Edition d’objets design
  • Date de création : 2010
  • Localisation : St-Etienne (42)
  • Marché : France / Monde
  • CA 2011 : NC
  • Effectif : 2
  • Designers :
    • Occidorient, S.M.S., I Miss Swan, Usine Occupée : François Mangeol
    • Animali Domesticki, Libero : Jean-Sébastien Poncet
    • E-ticket : Jean-Claude Paillasson graphiste
    • La Main Baladeuse : Julien Michel
    • Diego & Salvador : ECAL/Jennifer Rabatel
    • Cheminée #1 : Frank Rambert architecte

crédit photo ÉSÉ-Édition sous Étiquette

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *