Le succès de l’édition à la française alliée à un modèle original de distribution – Interview de Nicolas ROCHE, Directeur des collections contemporaines chez Roche Bobois

L’essentiel :

  • Les réseaux de distribution sont le premier canal permettant de garder le contact avec le client final. Il est essentiel d’être à son écoute et de recueillir son avis avant tout développement.
  • En dehors des très grandes signatures, l’impact commercial du nom d’un designer est faible sur le marché de l’ameublement destiné à un public large.
  • Un fournisseur s’en remettant totalement à son donneur d’ordre pour la conception de produits n’est plus dans une véritable relation de partenariat et se fragilise.
  • Une entreprise doit veiller en choisissant un designer à ce qu’il soit autant intéressé par le client, la marque, la fabrication que le dessin
  • L’éco-conception est une démarche enrichissante à long terme et motivante pour les fournisseurs



Le groupe d’ameublement Roche Bobois International (Roche Bobois, Cuir Center) créé en 1960 par les Roche et les Chouchan est une des références historiques du paysage de l’édition française. La société est actuellement en phase d’expansion et a des objectifs ambitieux.
Le modèle de la marque est remarquable à plusieurs titres : son principe de distribution en franchise, sa collaboration avec de nombreux designers tant émergeants que de renom, et sa caractéristique d’être un éditeur sans outil de production propre…


Nicolas ROCHE, directeur des collections contemporaines chez Roche Bobois, nous explique aujourd’hui le mode de fonctionnement de la marque.

Q. : Monsieur Roche, pouvez-vous nous expliquer ce qui fait la spécificité de Roche Bobois dans son histoire ?
Nicolas ROCHE : A la fin des années 1950 Philippe et François Roche, qui disposent d’un magasin à Paris se rapprochent des établissements Chouchan, propriétaires du magasin « Au beau Bois » qui deviendra Bobois, en vue d’organiser en commun l’importation de produits scandinaves, qui représentent la rupture moderniste par rapport au classicisme national.
Pour se développer rapidement en limitant les investissements et en gardant une certaine souplesse, la société opte pour un modèle de distribution totalement innovant pour l’époque : la franchise, c’est-à-dire un réseau de distributeurs exclusifs auxquels a été concédé le droit d’utiliser la marque. On peut dire que Roche Bobois est le créateur du concept…

La société commence à distribuer les créations de spécialistes du mobilier contemporain hexagonal, fortement inspiré du Bauhaus, tels que Minvielle, Steiner ou Airborne. Mais pour séduire les franchisés, il faut des produits différents, une collection exclusive. C’est ainsi qu’apparait alors notre métier d’éditeur : la société commence alors à collaborer avec des designers renommés tels que Pierre Paulin ou Marc Berthier.

Q. : Le choix a donc été fait dès cet instant de ne pas posséder d’outil de production ?
NR : Effectivement, nous n’avons pas d’outil de production propre : cela nous confère la souplesse requise pour aller chercher les compétences là où elles se trouvent pour assurer le renouvellement des collections avec les techniques de production les plus récentes.
Cela pourrait poser un problème de marge car nous faisons de l’achat pour la revente, mais finalement nos prix sont équivalents à ceux des fabricants car nous n’avons pas les mêmes problématiques d’investissements.

Q. : Comment s’organise le développement de nouveaux produits ?
NR : La définition de nouveaux produits est issue d’un mix de critères :

  • Les tendances sur les matériaux, les finitions, et les couleurs
  • Les remontées du terrain, grâce au congrès que nous tenons deux fois pas an avec les franchisés, que nous confrontons à la ligne éditoriale (c’est important car le franchiseur a la responsabilité de nourrir le réseau des franchisés en produits qui fonctionnent).
  • Le positionnement du produit selon deux critères à croiser, celui du niveau de design (mainstream vs. pointu) et celui du prix.
  • Les liens de partenariats avec nos fabricants que, tant que la collaboration est fructueuse, nous nous devons d’alimenter.
  • Notre identité, sachant que notre équilibre repose sur le fait qu’elle ne soit pas trop marquée, pour conserver la capacité à être multiforme, au contraire des marques italiennes qui nous sont concurrentes et dont l’identité est résolument forte mais étroite. Pour la résumer, je dirais qu’il s’agit d’une identité statutaire, mais avec une grande variété graphique…
  • Et bien sûr nos intuitions !

Q. : A partir de ce mix vous définissez donc des collections ?
NR : Nous faisons 2 fois par ans la synthèse de ces critères en définissant une collection qui comportera des nouveautés et ce que nous appelons des représentations, c’est-à-dire des extensions de gamme ou améliorations de produits.

Q. : Comment sélectionnez-vous les designers avec lesquels vous travaillez ?
NR : Avant toute choses, le critère essentiel est qu’ils doivent être capable de prendre en compte les valeurs de la marque, et d’être dans l’écoute. Nous n’avons pas de designers en interne, nous pouvons donc faire appel à :

  • des collaborations suivies,
  • parfois des demandes entrantes, dont nous sommes submergés mais parmi lesquelles il faut savoir dénicher les bonnes surprises,
  • des designers que nous identifions nous-mêmes comme dans le cas de Stéphane Lebrun (voir illustration), qu’ils soient connus ou émergeants,
  • et tous les 4 à 5 ans, de grands noms (Paola Navone, Christophe Delcourt, Mauro Lipparini…) avec lesquels nous faisons des collections complètes et porteuses de message.
  • nous organisons également depuis 2009 un concours itinérant de design à l’étranger, que nous avons mené d’abord en Chine, au Maroc, et cette année au Royaume-Uni. L’objectif est d’affirmer la présence de la marque à l’international en faisant appel aux talents locaux autour d’un thème, à l’attention de 2 à 4 catégories (jeunes, pro…). Les travaux sont évalués par un jury composé de la presse décoration et des écoles de design locales. De cette démarche est par exemple issu le projet de chaise AVA en injection : conçue par un designer chinois, fabriquée par un producteur italien… intéressant renversement de perspectives !

Selon les cas, nous orientons notre demande sur un designer dont le point de départ sera plutôt la connaissance technique ou plutôt l’approche esthétique. Mais dans tous les cas il devra être à même de s’impliquer sur les deux plans, car la démarche artisanale fait partie de l’ADN de la marque.
collection Stephane Lebrun Roche Bobois
Q. : Comment se passe la fabrication ?
NR : Nous fonctionnons en petite ou moyenne série et à flux tendu : la fabrication est déclenchée à la signature par le client. La commande est donc personnalisée et suivie de bout en bout. Dans les cas de produits connaissant une forte rotation, les délais (s’élevant habituellement à deux mois) peuvent être réduits, ou certains franchisés peuvent mettre en place des stock tampon. Mais, surtout, ce business-model nous permet de proposer quasiment du sur-mesure.

Q. : Vous vous développez fortement à l’export. Comment vous adaptez-vous aux marchés internationaux ?
NR : Effectivement nous avons une forte croissance sur les marchés internationaux. Notre identité de marque française est porteuse d’une image d’art de vivre à la française avec des valeurs de création, de qualité. Nous n’avons donc besoin d’adapter nos produits à l’export que sur des aspects de tailles et de finitions, pour l’essentiel.
Ensuite, les problématiques locales sont d’ordre commercial.

Q. : La signature des designers est-elle un argument commercial ?
NR : Le problème est que pour la plupart des français, il n’y a qu’un seul designer, comme nous n’avons qu’un seul architecte en France : Starck et Nouvel !!! Dans ces conditions la perception du nom du designer a un impact quasiment nul commercialement ou en communication. Nous communiquons quoi qu’il en soit systématiquement le nom des designers de nos pièces : c’est la bien sûr moindre des choses, mais cela fait aussi comprendre que derrière chaque création, il y a un créateur.
En revanche, les stylistes de mode ont une notoriété qui nous a donné l’opportunité de réaliser de belles opérations en collaboration avec Jean-Paul Gautier, Sonia Rykiel… autant commercialement qu’en communication.

Q. : Que pensez-vous de l’arrivée sur le marché de cette vague de nouveaux petits éditeurs (Petite friture, Moustache…) ?
NR : Ils font un travail magnifique, ils sont incroyablement réactifs, et je suis surpris par leurs prix, qu’ils réussissent à maintenir bas…
En revanche dans certains cas les designers qu’ils éditent peuvent avoir le travers d’être trop dans le geste, ce qui peut amener à ne pas répondre à un vrai besoin et donc se faire au détriment de l’utilisateur… C’est un point sur lequel nous sommes vigilant : un mobilier doit être utilisable !

Q. : Parlons chiffres…
NR : Dans notre schéma, les coûts de développement d’un produit sont principalement supportés par le fabricant qui le vendra au réseau in fine. Les autres acteurs du trio, le designer et nous-même l’éditeur, contribuent essentiellement par leur temps.

Q. : Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs ?
NR :

  • Maintenir des échanges permanents avec le réseau des distributeurs. Leur lien permet de bien connaître la clientèle. Il est crucial de garder le contact avec le client final [NDLR : les bureaux de RBI se trouvent au-dessus du flagship Roche Bobois]
  • Les fabricants ont tendance à trop déléguer la conception produits, c’est une erreur, ils perdent ainsi leur force de proposition et deviennent ainsi fragiles.
  • Avant de pouvoir finaliser l’acte d’achat, il y a une succession de critères à remplir pour plaire au client, le premier étant la séduction du produit en lui-même. La création permet de l’accrocher, pour ensuite passer à la considération du prix, de l’intelligence de fabrication…
  • Pour susciter de la valeur ajoutée, trouver le designer qui s’intéresse autant au client, à la marque, et à la fabrication qu’au dessin.
  • L’éco-conception est une démarche qui peut être motivante pour les fournisseurs : pour développer notre collection Legend le fournisseur a adopté l’éco-conception, et cela a provoqué des changements positifs importants chez lui. Il a depuis poursuivi et intégré la démarche par lui-même, pour l’ensemble de son activité…


Merci Monsieur Roche, nous souhaitons à Roche Bobois de poursuivre son expansion à la conquête du monde !

Fiche d’identification de l’entreprise

  • Nom : Roche Bobois International
  • Dirigeants :
    • Président : Gilles BONAN
    • Président du Conseil de Surveillance : François ROCHE
    • DG : Eric AMOURDEDIEU
    • Directeur des collections contemporaines : Nicolas ROCHE
  • Secteur : Commerce de bien d’ameublement
  • Date de création : 1960
  • Localisation : Paris
  • Effectif : RBI : 40 personnes
  • CA 2011 : 375 M€
  • Réseau : Franchises : 240 magasins dont 80 filiales
  • Export : Europe, Chine, USA, Afrique du nord, Moyen-Orient
  • Designers
    • Pas de designer en interne hormis une petite cellule de dessin de canapé
    • Collection Legend : Christophe Delcourt
    • Paola Navone, Massimo Iosa-Ghini, Sacha Lakic, Roberto Tapinassi et Maurizio Manzoni, Cédric Ragot…

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