Fiche Juridique : Un « designer » salarié peut-il revendiquer des droits d’auteur sur sa création auprès de son employeur ?

Voici la deuxième tribune juridique de Maître Delphine Bastien, spécialiste des questions de propriété intellectuelle, traitant de questions concrètes pour les entreprises et les créateurs.


Il ressort de l’article L. 111-1 (a) du Code de la Propriété Intellectuelle que le créateur / designer salarié est, en principe, titulaire (propriétaire) des droits d’auteur sur sa création, indépendamment de son contrat de travail, sauf accord contraire conclu entre le salarié et l’employeur. Il ne sera pas abordé ici la délicate question des clauses de cession de droits d’auteur contenues dans un contrat de travail et de leur validité juridique.

Mais en pratique, le créateur / designer salarié contribue souvent, avec d’autres créateurs, à la réalisation de la création qui sera ensuite exploitée par l’employeur (entreprise).

Or, il ressort des articles L. 113-2 (b) et L. 113-5 (c) du Code de la Propriété Intellectuelle que les droits d’auteur attachés à une œuvre collective sont présumés appartenir à la personne qui l’exploite sous son nom.

La question, dans ce cas, est donc de savoir si l’employeur peut se prévaloir de la qualité d’œuvre collective à l’égard d’un designer / créateur salarié qui revendiquerait auprès de lui des droits d’auteur sur ses créations pour rejeter la demande du designer / créateur salarié.

À cet égard, la Cour d’appel développe un courant de jurisprudence qui apporte d’importantes précisions en la matière.

Ainsi, dans un arrêt du 5 novembre 2010, la Cour d’appel de Paris a jugé qu’un styliste qui justifierait « être à l’origine de modèles » mais « ne démontrerait pas avoir maîtrisé le processus de création de bout en bout » ne pourrait pas revendiquer de droits d’auteur (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 5 nov. 2010 : PIBD 2011, III, p. 121).

La même année, la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant la société Van Cleef à une ancienne salariée dessinatrice – dont l’activité comprenait « l’encadrement du service créations ainsi que sa participation active à l’oeuvre de création, son travail de création étant contrôlé par un «  »comité de créations » » qui intervenait à tous les stades de la création » – va constater « des interférences de divers acteurs depuis la conception jusqu’à la mise en volume de bijoux de haute joaillerie », pour qualifier ces modèles d’oeuvres collectives. (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 15 janv. 2010, Van Cleef c/ Cécile Arnaud).

Récemment, dans une affaire opposant à nouveau la société Van Cleef à un salarié dessinateur – dont la fonction consistait à concevoir des dessins pour la réalisation de bijoux Van Cleef – la Cour d’appel de Paris va constater « l’absence d’autonomie dans la réalisation du dessin » litigieux – pour qualifier les modèles Van Cleef d’œuvres collectives. (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 sept. 2012 : PIBD 2012, III, p. 720).

De façon pragmatique, la Cour d’appel va relever que :

  • le travail du dessinateur s’inscrivait dans un cadre contraignant qui l’obligeait à se conformer aux instructions esthétiques qu’il recevait de ses supérieurs ;
  • les dessins litigieux qui sont en tant que tels « dépourvus de valeur » avaient été réalisés dans le respect du style Van Cleef ;
  • d’autres personnes faisaient partie de la chaîne de création des modèles ;
  • les modèles avaient toujours été divulgués sous le nom de la société Van Cleef.

En conclusion, il est particulièrement important de connaître les conditions dans lesquelles les créations des créateurs / designer salariés ont été réalisées et ainsi de se poser les bonnes questions : création par une seule personne ou plusieurs personnes ? qui maîtrise le processus de création ? qui donne les orientations / instructions esthétiques ? qui édite et divulgue la création ? et sous quel nom ? etc.



Tribune de Delphine BASTIEN
Avocat au Barreau de Paris
Spécialisée en propriété intellectuelle
Professeur associé – Université Paris 13
16, rue Meslay, 75003 Paris
Mail : delphinebastien@club-internet.fr
Blog : avocats.fr/space/delphine.bastien



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(a) : Art. L. 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa (…) »
(b) : Art. L 113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle « Est dite collective, l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
(c) : Art. L 113-5 du Code de la Propriété Intellectuelle « L’oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Cette personne est investie des droits de l’auteur ».

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