Concevoir des produits visionnaires et être profitable sans usine – Interview de Henri SEYDOUX, PDG de Parrot

L’essentiel :

  • Le design n’est pas le stylisme, le stylisme n’est pas un bon argument commercial pour des objets high-tech.
  • Un produit a une fonction autonome, d’où doit découler sa conception.
  • Un objet destiné à un intérieur, y compris un bien de consommation électronique, doit être conçu avec les mêmes exigences que du mobilier (identification de la personne, fonctionnalité, discrétion…).
  • La démarche d’innovation et la gestion du portefeuille des produits font partie des éléments de stratégie de la société qui doivent être impulsés et suivis prioritairement par le chef d’entreprise.
  • La démarche de conception en collaboration avec une grande signature n’a généralement pas le même objectif que par exemple dans le cas d’une collaboration avec un designer industriel (par ex. apport d’une vision, culture sectorielle, « patte » esthétique… , versus apport de méthodologies, intervention au niveau de l’analyse du besoin, interaction approfondie avec les différentes équipes de la société…).



Henri Seydoux a créé le groupe Parrot en 1994, partant de la reconnaissance vocale et des composants de traitements du signal pour ensuite se lancer sur des marchés grand public où il se différencie grâce à ses innovations technologiques et d’usages.

Parrot conçoit des périphériques sans fil pour téléphones mobiles (AR.Drone, Kits et systèmes mains-libres, enceintes sans fil, cadres photos, autoradio Asteroïd…) et se place parmi les entreprises les plus en vues du paysage high-tech français.

Cette société est un modèle de « fabless », sans usine – il sous-traite l’ensemble de sa fabrication à des partenaires -, ce qui lui permet de se concentrer sur l’innovation, le design et le marketing. Un exemple français de différenciation par le « designed by » (voir à ce sujet l’article de Christian Guellerin ‘Il faut passer du « Made in » au « Designed by »‘)

Henri Seydoux partage avec nous aujourd’hui son expérience de l’innovation et de quelle manière sa stratégie d’entreprise a utilisé le levier du design, selon une voie différente des entreprises que nous vous présentons habituellement.

Zik

Go2prod : Monsieur Seydoux, vous faites appel à des designers de renom pour vos produits. Pour quelle raison à votre avis le design est-il si peu intégré dans l’industrie Française ?
Henri SEYDOUX : Je ne suis pas d’accord pour dire que l’industrie française est en retard dans l’intégration du design, bien au contraire, il en est partie intégrante.

L’esprit français, à la fois ‘bordélique’ et extrêmement structuré, baigne dans une culture ancienne, et le mathématicien Pierre de Fermat louait notre culture de l’artisanat…

G2p : Peut-être s’agit-il ici d’une question de définition de ce qu’est le design ?
HS : Probablement : je n’aime pas le design quand il va dans le sens du « stylisme », il n’est dans ce cas pas un bon argument commercial.

Je considère qu’un produit a une fonction autonome, d’où doit découler sa conception. La 2CV est un bon exemple de cette idée : elle a été conçue à partir d’un usage précis [NDLR : voir à ce sujet notre article «4 roues sous 1 parapluie»] et des apports technologiques de l’aviation naissante à cette époque. C’est ce qui a fondé sa conception.

Ma règle est de rechercher l’autonomie de l’objet, d’éviter le stylisme. Le stylisme n’est la solution à aucun problème.

G2p : Quelle a été votre démarche pour arriver à vos innovations ?
HS : Notre entreprise conçoit des objets, et aucun objet n’est anodin.

Le cœur de toute notre activité est le téléphone mobile, à partir duquel nous nous autorisons à être « aventureux », à explorer de nouvelles voies, mais en restant toujours centrés sur les usages !

Nous avons commencé par nous intéresser au téléphone dans la voiture, après quoi nous avons exploré le téléphone à la maison, et nous défrichons actuellement le territoire du téléphone versus les jouets et jeux vidéo.

A chaque fois notre point de départ pour arriver à une innovation a été le désir : l’idée du technologue, avant même la fonction ou l’utilité…

Notre fil conducteur est que le produit doit :

  • être utilisable par le grand public
  • avoir un prix de vente compris entre 100€ et 300€
  • fonctionner avec un téléphone mobile
  • ne pas encore exister

AR.Drone

G2p : Comment avez-vous développé vos produits ? A qui avez-vous fait appel pour ce faire ? (ergonomes, etc.)
HS : Dans l’équipement de la voiture nous avons développé notre spécificité sur la commande vocale.

Descartes disait que « l’œuvre commune à plusieurs hommes est généralement plus imparfaite que celle exécutée par un seul »… Nous avons conçu ce produit sans faire appel à des compétences extérieures, gardant pour règle de faire le produit le plus simple possible, et de finir sur l’esthétique sans la négliger car le raisonnement humain passe par là…

* Quand nous nous sommes intéressés au téléphone à la maison et à ses usages (musique, photo…), ma réflexion initiale a été de me dire qu’un objet dans un intérieur doit être conçu comme du mobilier, avec les mêmes exigences, car il identifie la personne, il doit être fonctionnel, il doit être discret…

Les appareils de consumer electronics sont généralement laids car ils ne sont pas conçus comme du mobilier.

C’est pourquoi j’ai fait appel à Starck, Szekely, des designers rompus aux exercices mobiliers, pour ces projets, et ce dès le début du projet.

* En ce qui concerne notre incursion dans le domaine des jeux vidéo, c’est venu d’une idée de rupture : les enfants ont remplacé leurs jouets traditionnels par les jeux vidéo, et ils ont bien raison !

Les jeux permettent à présent l’interactivité, un rapport complexe au réel. Et à présent que la technologie est sophistiquée, on doit pouvoir mettre en œuvre des interactions avec le monde physique ! Ca se casse, ça se répare, il y a de la matière… on est dans l’enseignement de la physique !

La genèse de l’AR.Drone [NDLR : Quadricoptère de taille jouet guidé par Smartphone] s’est faite par le travail en interne (tout a été réalisé en interne pour cet objet) :

  • il fallait qu’un enfant de 8 ans puisse appuyer sur un bouton et que cela marche
  • il fallait que ce soit entièrement réparable simplement (cela fait partie de l’expérience utilisateur du Drone)
  • Le jouet devait être utilisable en intérieur ou en extérieur

Dia

G2p : Pour les cas où vous avez travaillé avec des designers, comment s’est passée votre collaboration avec eux et quel en a été le résultat ?
HS : C’est moi qui ai souhaité faire appel à Starck et Szekely. C’est allé très vite contrairement à ce que l’on pourrait croire, puisqu’on ne leur demande pas de faire notre boulot…

Quand je travaille avec Stark, d’une discussion de 2 fois 1 heure naît un dessin, c’est à dire une idée bonne ou mauvaise. Ensuite il faut 1 à 2 ans pour la développer et je reviens alors vers le designer pour la finalisation…

Le résultat de ces collaborations est que Parrot est très différencié sur le consumer electronics. Quant à déterminer quel est l’impact de la signature du designer sur les ventes, c’est extrêmement difficile à déterminer, même si l’impact communication est certain.

G2p : Parlons chiffres…
HS : Parrot consacre chaque année 13% de son Chiffre d’affaires au budget Recherche et Développement, dont 20% sur les nouveaux produits et 80% sur la téléphonie de voiture (parmi lesquels 10% sur des avant produits).

Parrot fabrique 1,5 Millions de produits par an sous sa marque, 8 Millions en OEM.

La R&D représente du temps mais n’est pas extrêmement couteuse en définitive puisqu’elle implique essentiellement des charges salariales, pas de l’investissement matériel

L’ AR.Drone pour prendre un exemple a représenté 4 ou 5 ans d’une équipe d’environ 3 personnes, et est une réussite représentant plusieurs dizaines de millions d’euros de CA !
zikmu

G2p : Quelles sont vos prochaines étapes ?
HS : Nous présentons à l’occasion du salon CES un produit totalement innovant : un casque audio connecté par Bluetooth, signé Starck, doté entre autres d’un système de contrôle actif du bruit environnant…

Merci Monsieur Seydoux, nous attendons avec impatience et curiosité les prochaines innovations de Parrot !

Fiche d’identification de l’entreprise

  • Nom : Parrot
  • PDG : Henri SEYDOUX
  • Secteur : équipements de télécommunications et objets communicants
  • Date de création : 1994
  • Localisation : Paris
  • Marché : monde
  • CA 2010 : 241,7 millions d’euros
  • Effectif : plus de 650 employés dans le monde
  • Designers :

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