Au cœur des problématiques de conception d’un leader des objets communicants – Interview d’Eric CARREEL, président de Withings, Invoxia, Sculpteo

L’essentiel :

  • Pour concevoir un produit disruptif, il faut adopter le point de vue de l’utilisateur, et trouver le plus court chemin pour y répondre (comme Apple a su le faire), et ne penser au canal de distribution que dans un second temps.
  • Il y a eu une rupture dans la conception de l’interface utilisateur il y a 4 ans avec l’arrivée de l’Iphone. Elle est bénéfique, il faut l’intégrer.
  • Les designers français doivent développer leur connaissance des contraintes techniques des matériaux, de l’approche mécanique des nouveaux matériaux et des nouvelles possibilités formelles qu’ils offrent.
  • Il est difficile -voire impossible- de trouver en France des industriels locaux en capacité d’offrir des techniques de rendu et de finition mécanique avancées.


Eric Carreel est le cofondateur d’Inventel, le créateur de la livebox, revendu à Thomson en 2005. Sa vision du futur lui a permis d’identifier très en amont des évolutions technologiques et d’usage aujourd’hui évidentes : DECT, ADSL, WIFI, set-top box…

Il nous parle aujourd’hui de son expérience de l’utilisation du design, en particulier au sein des sociétés dont il est actuellement président :

  • Withings, qui conçoit, développe, fabrique et commercialise des objets connectés (balances, tensiomètres, babyphones…), le dernier produit de la société, le Smart Baby Scale, a reçu le CES Innovations Award.
  • Sculpteo, qui propose une approche originale de l’impression 3D avec son service dʼimpression 3D accessible en ligne notamment à travers une app, ainsi que le moteur d’impression 3D, Sculpteo 3D printing engine, intégrable sur n’importe quel site de e-commerce.
  • Invoxia, qui conçoit, développe, fabrique et commercialise des objets de télécommunications et notamment le Smart Office Phone élu meilleure innovation du Consummer electronics Show de Las Vegas 2012 par le CES.

Go2prod : Quel est le point de départ de Withings, et quelle y est la place de la démarche design ?
Eric CARREEL : L’idée de départ était de ne pas inventer de nouveaux objets, mais de revisiter des objets existants, tout en :

  • en simplifiant les usages,
  • en enrichissant les fonctionnalités.

La balance nous semblait un objet simple pour commencer – il s’est avéré que ce n’était pas le cas, d’ailleurs…

Il existait des impédencemètre qui avaient tous un clavier, un écran… et un manuel d’utilisation autant indispensable que complexe ! Nous avons donc décidé de déporter sur le Smartphone l’interface de commande et de consultation, tout en l’enrichissant d’un historique (courbes), de liens avec les constantes corporelles (masse maigre, tension, cardiologie…) et de placer toutes ces informations sur un serveur pour le suivi familial ou afin de pouvoir partager ces information avec un médecin, un coach sportif…

De cette volonté de verticaliser l’offre et cette cinématique, nous avons défini l’objet et l’interface correspondants.

G2p : Vous avez donc fait appel à des designers ?
EC : C’est une pratique habituelle pour moi. Chez Inventel nous travaillions déjà avec des designers (par exemple pour la mise au point des pagers que nous avons lancé en 1994). Leur action sur les produits nous permet d’être au point tant sur l’esthétique, que l’intelligence de l’architecture de l’objet, l’adéquation à la capacité fabrication, ou les fonctionnalités intégrées.

L’approche design a une importance cruciale sur la partie mécanique : elle permet de rendre plus réel un projet, par l’usage systématique de la maquette, et cela motive les équipes et permet de cristalliser et de coordonner toutes les dimensions du projet.

Et elle a bien évidemment également un rôle essentiel sur la partie interface…
Withings

G2p : Comment travaillez-vous avec les designer ? Quand les faites-vous intervenir ?
EC : Nous faisons essentiellement appel à des designers externes, car il est difficile de maintenir la créativité sans apport extérieur. Les designers interviennent le plus tôt possible dans la démarche, et nos équipes internes d’ingénieurs sont en interaction permanente avec les designers.

En principe, le process que nous suivons est le suivant : Nous demandons des devis à 2 ou 3 designers, nous demandons des cahiers de concepts, nous retenons 2 concepts, puis passons en phase de développement.

Pour exemple, le cahier des charges pour la balance transmis aux designers faisait seulement 2 à 3 pages et reprenait uniquement les contraintes impératives, afin de ne pas brider les designers.

Nous n’avons jamais fait le choix de faire appel à des « stars » pour réaliser nos projets, cela ne correspondrait pas à notre approche ni à nos méthodes de travail…

G2p : Quelle est la phase la plus délicate pour la réussite de vos projets ?
EC : Ce n’est pas la phase de dessin la plus importante mais bien le suivi du développement :

Le plus dur est de ne pas laisser le projet perdre sa substance au fil de l’apparition des contraintes techniques et de production. Le designer doit être impliqué jusqu’à la fin du projet pour être motivé et surtout pour qu’il ait une perception et une action sur la finition du produit.

En termes de finition, le problème porte le plus souvent sur l’innovation au niveau des matériaux et nouvelles technologies matérielles ou de rendu de surface, et il s’agit là d’un problème bien français.
Invoxia

G2p : C’est au niveau mécanique que le bât blesserait en France ?
EC : Toute la différence à la vente sur un produit de consumer electronics se fait souvent sur le rendu et la finition. Or c’est quelque chose de difficile à résoudre en France : ma frustration est de ne pas trouver d’industriels locaux en capacité d’offrir ces techniques pour la partie mécanique (le problème ne se pose pas pour la partie électronique).

Nous avons été obligés d’aller en Chine pour trouver un industriel capable de nous offrir une finition avec un rendu alu brossé. Cela nous a fait perdre un temps considérable ! De même pour les matériaux en verre, il y a un énorme manque !

Quand nous allons en Chine, le temps nécessaire pour amener un fournisseur jusqu’à nos attentes est de 4 à 6 mois au moins… Pour l’anecdote, nous ne parvenions pas à obtenir d’un fabricant chinois le vert demandé sur la base d’un nuancier. Il nous a fallu envoyer le designer sur place pour régler ce problème spécifique pour nous apercevoir que le nuancier qu’ils utilisaient là-bas était une copie de mauvaise qualité.

En outre, le point faible de la formation des designers en France est la connaissance des contraintes techniques des matériaux, c’est à dire toute l’approche mécanique de l’objet. C’est une situation assez proche de ce qui s’est passé pour l’architecture en France, qui n’a pas su prendre en compte l’apparition de nouveaux matériaux et des nouvelles possibilités formelles qu’ils offraient. Les architectes Français sont à présent dépassés !

C’est ma plus grande difficulté alors que c’est là ou j’avais la plus grande attente des apports des designers.

G2p : Quelle est la place des utilisateurs dans votre démarche ?
EC : Nous avons pour les utilisateurs le même point de vue qu’Apple : on ne peut pas demander son avis à un utilisateur sur un usage qui n’existe pas encore. La sanction est celle du marché, sur l’objet développé, et nos produits ont beaucoup de succès…

Sculpteo
G2p : Parlons chiffres…
EC : Withings est une entreprise rentable dont le chiffre d’affaires est réalisé en majeure partie à l’étranger. 90% du CA est réalisé hors de France. 45% aux USA, 30 % en Europe hors France, 15% en Asie-Oceanie et 10% dans l’hexagone.
G2p : Pouvez-vous chiffrer le coût ou le retour sur investissement du design ?
EC : Le design coûte, comme le développement coûte. Plutôt que de chercher un coût il serait préférable de mettre en avant les forces, les avantages du design… La vraie question qui doit se poser est « Est-ce que le design est bon ? » plutôt que « Combien cela a couté ? ».

Et un « bon » design n’est pas proportionnel à la taille de l’équipe qui le réalise, comme toujours : il est même plus facile de faire bien avec une équipe légère et resserrée !

G2p : Vous avez présenté des nouveautés sur le CES, et elles sont orientées vers les besoins de l’utilisateur… Pouvez-vous nous en dire plus ?
EC :
Withing présente dans la prolongation de notre pèse–personne le pèse-bébé / pèse-enfants. Le constat est que le grand public souhaite suivre et conserver les courbes de poids de sa progéniture plus régulièrement que lors des passages chez le médecin (c’est un phénomène particulièrement fort aux USA). Nous proposons ainsi un suivi familial simple, pour tous les âges de surcroît, l’interface Withings permet de facilement partager ces données de façon fiable tout en conservant un historique. Nous avons eu la joie de recevoir le CES Innovations Award pour ce Smart Baby Scale !

Sculpteo, après avoir développé des services d’impression 3D plutôt destinés aux concepteurs d’objets 3D, met son outil en ligne au service de la production d’objets uniques pour le grand public, sans connaissance d’outils de modélisation. On arrive enfin à la vraie finalité de l’impression 3D, avec par exemple des objets en céramiques personnalisés grâce à la 3D et abordables, utilisables dans la vie de tous les jours, lavables, etc. Littéralement, grâce à l’application Sculpteo, n’importe qui peut faire « jaillir » une tasse à café unique réalisée à partir de données personnelles d’un iPad… Nous proposons un moteur en marque blanche à tout site de e-commerce qui souhaite développer ce nouveau business innovant.

Invoxia, partant du constat que la téléphonie professionnelle est une chose complexe, apporte un objet totalement indépendant de l’opérateur et intuitif d’utilisation, avec intégration d’un service de MVNO. Un énorme gain tant pour l’utilisateur que pour le responsable de la téléphonie au sein de l’entreprise…

Le Smart Office Phone d’Invoxia est un téléphone IP offrant une qualité acoustique sans équivalent, son interface est l’iPhone. Ce produit a été distingué meilleure innovation par le CES et a reçu le Best of CES Innovations Award, ce qui n’est pas anodin pour une jeune société, (de surcroit française).

G2p : Quels conseils donneriez-vous aux patrons de PME/PMI ?
EC :

  • Pendant la conception, penser à l’utilisateur final et pas au canal de distribution,
  • Adopter le point de vue de l’utilisateur, et trouver le plus court chemin pour y répondre (comme Apple a su le faire),
  • Il y a eu une rupture dans la conception de l’interface utilisateur il y a 4 ans. Elle est bénéfique, il faut l’intégrer.



Merci Monsieur Carreel, nous vous souhaitons le succès sur le CES, et au-delà !

Fiche d’identification des entreprises

  • Nom : Withings SAS
    • Dirigeants : Eric CARREEL, Président ; Cédric HUTCHINGS, Directeur Général
    • Secteur : Fabrication et commercialisation d’objets connectés Bien être et santé
    • Date de création : 2008
    • Localisation : Issy-les-Moulineaux (92)
    • Marché : monde
    • Effectif : 32 employés
  • Nom : Scuplteo
    • Dirigeants : Eric CARREEL, Président ; Clément MOREAU, Directeur Général
    • Secteur : Service d’impression 3D
    • Date de création : 2009
    • Localisation : Vanves (92)
    • Marché : monde
    • Effectif : 10 employés
  • Nom : Invoxia
    • Dirigeants : Eric CARREEL, Président ; Serge RENOUARD, Directeur Général
    • Secteur : Fabrication et commercialisation d’objets de télécommunication haut de gamme
    • Date de création : 2010
    • Localisation : Issy-les-Moulineaux (92)
    • Marché : monde
    • Effectif : 10 employés
  • Designers :
    • Elium Design
    • Jean-Louis Frechin (Nodesign) pour l’application Sculpteo qui permet à partir de data personnelles (en l’occurrence une photo) de fabriquer un vase unique, grâce au service d’impression 3D.

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