Que ce soit dans les industries du luxe ou la conception de produits de grande consommation, des savoir-faire et des compétences créatives interviennent.
Ces investissements, cette valeur immatérielle du design et du savoir-faire constituent le facteur de différenciation de l’entreprise sur un marché concurrentiel et peuvent -et doivent- être protégées.
Nous disposons en France du mécanisme le plus complet et le plus favorable qui soit à la protection des œuvres. Mais sa complexité et la méconnaissance qu’en ont de nombreuses entreprises fait qu’il est insuffisamment exploité.
Nous vous donnerons dans cette fiche quelques points de repère généraux, qui ne remplaceront bien entendu jamais les conseils d’un juriste spécialisé adaptés à votre situation particulière. L’équipe Go2prod se tient à votre disposition pour vous fournir les contacts correspondant à vos besoins.
Sommaire :
- La protection des œuvres : un élément de la stratégie de l’entreprise
- Que peut-on protéger ?
- Comment protéger, et à quel coût ?
- Quels risques ?
- Comment se prémunir de la contrefaçon ?
- Les créations appartient-elle au designer ou à l’entreprise ?
- Quelques mots sur les différences de protection du design au niveau communautaire, et en particulier en Italie
1/ La protection des œuvres : un élément de la stratégie de l’entreprise
Le premier réflexe est de définir une stratégie de propriété industrielle compatible avec les objectifs de l’entreprise. Il faudra en effet déterminer si le coût des démarches est cohérent avec la valeur de l’objet de la protection.
Sur le principe une entreprise ne devrait protéger que les éléments qui lui confèrent un avantage commercial ou stratégique. Elle aura dans les autres cas recours à la législation sur les secrets d’affaires et la publication défensive de façon beaucoup moins coûteuses que les dépôts.
2/ Que peut-on protéger ?
Il n’est pas possible de protéger une idée ou un concept, seule leur matérialisation est protégeable. De quelle manière ?
La propriété intellectuelle a deux volets :
la propriété industrielle, qui couvre :
- les brevets (créations techniques offrant une solution technique à un problème technique)
- les dessins & modèles, qui s’appliquent aux créations esthétiques à vocation industrielle
- les marques : constituées de signes marketing figuratif et/ou verbal
la propriété littéraire et artistique, constituée par le droit d’auteur, portant sur les créations esthétiques à vocation industrielle ou purement artistique (créations graphiques, plastiques, photographiques, littéraires, musicales)
D’un point de vue juridique, le design est une création esthétique et industrielle à 2 dimensions (dessin) ou à 3 dimensions (modèle). Il relève donc en France à la fois des droits de la propriété industrielle et du droit d’auteur.
La protection par le droit d’auteur s’applique dès la réalisation de la création, tandis que les autres protections sont possibles cumulativement, et par enregistrement (droit des dessins et modèles et/ou droit des marques)
Voir plus bas : la création appartient-elle au designer ou à l’entreprise ?
Le savoir-faire, quant à lui, est l’ensemble des connaissances techniques ou industrielles ou commerciales ou économiques ou organisationnelles etc. (tour de main, formule de fabrication, secret de fabrique)
Le savoir-faire doit être caractérisé, c’est à dire :
- être conceptualisé et individualisé (matérialisé par une méthode)
- être secret (passez des accords de confidentialité ! Leur absence peut être reprochée par un tribunal !)
- conférer un avantage économique
Le vol d’un savoir-faire constitue un délit.
3/ Comment protéger, et à quel coût ?
Si la protection par le droit d’auteur ne nécessite l’accomplissement d’aucune formalité préalable, il est cependant indispensable de pouvoir en prouver l’antériorité.
Dans ce cas l’enveloppe Soleau constituera une preuve de paternité et d’antériorité en cas de conflits avec un tiers.
Cout de l’enveloppe : 15€ (!)
Les créations « industrielles » doivent quant à elles faire l’objet d’un dépôt auprès de différents organismes pour être protégées par la loi.
Dans ces cas et pour éviter toute opposition ou demande d’annulation lors du dépôt, il convient avant toute démarche d’enregistrement d’effectuer des recherches d’antériorités.
Les types de protection :
- Le brevet français (INPI) protège l’invention pendant 20 ans
- Le brevet européen (OEB) : Mêmes effets qu’un brevet national dans les 28 Etats contractants, avec possibilité de choisir ses pays au sein de l’europe (coût très variable par conséquent)
- Le brevet international (OMPI) : Dépôt dans environ 123 pays
- La marque française (INPI) : 10 ans renouvelable indéfiniment, 215 € pour 3 classes de produits ou services, + 38 € par classe supplémentaire sans recherche d’antériorité
- La marque communautaire (OHMI) : 975 € pour 3 classes de produits ou services, + 200 € par classe supplémentaire
- La marque internationale (OMPI) : cout variable selon le nombre de pays choisis. Voir www.wipo.int
- Le dessin français (INPI) : 5 ans renouvelables jusqu’à un maximum de 25 ans, cout pour 5 ans : 38 €
- Le dessin communautaire (OHMI) : protection dans tous les pays de l’UE : 350 €
- Le dessin « international » (OMPI) : 273 € + 29 € par Etat
Nota : les coûts précisés ici sont des ordres de grandeur et ne prennent pas en compte les nombreuses particularités de chaque protection…
Dans le cas des activités saisonnières, il existe en France un dépôt simplifié de dessins et modèles, extrêmement utile et trop peu connu. Ce formalisme est en principe réservé aux industries qui renouvellent fréquemment et en nombre la forme et le décor de leurs produits, comme c’est le cas des industries de la mode (habillement, horlogerie et bijouterie, jouet, arts de la table…), par exemple.
En cochant cette option du formulaire, le déposant, tant qu’il n’a pas confirmé le dépôt (il dispose de 3 ans pour ce faire), paie uniquement la taxe de dépôt et son dossier n’est pas publié.
Ce formalisme permet de confirmer seulement les modèles qui rencontrent le succès, tout en disposant d’un droit d’auteur acté à date certaine et d’un droit de dessins et modèles latent.
Le dépôt en ligne facilite grandement les démarches, il faut cependant noter que l’INPI ne réalise qu’un examen sommaire du dossier au moment du dépôt… la réception du certificat d’enregistrement de la part de l’INPI ne garantit donc aucunement qu’il n’y aura pas nullité par la suite, sur réclamation d’un tiers. Nous vous recommandons donc la plus grande vigilance sur le fond et la forme de votre dépôt : il est facile de déposer incorrectement, très difficile de rattraper la situation !
Il n’y a pas d’autres organismes d’enregistrement que les organismes officiels ci-dessus. Les autres sociétés proposent uniquement des « dates certaines » auxquelles les tribunaux n’attribuent pas la même force.
Il est important de souligner que les coûts liés à la protection sont beaucoup plus importants sur la défense que sur la protection. C’est pourquoi les précautions en amont et la veille sont particulièrement importantes et recommandées.
En revanche, il est trop peu communiqué que les dédommagements peuvent être extrêmement importants suite soit à des arbitrages, soit à des jugements. La défense des intérêts en propriété intellectuelle n’est donc pas une affaire de grosse société cherchant à protéger leur marque. Elle intéresse également les PME !
4/ Quels risques ?
Déposer un dossier de dessins et modèles à l’INPI signifie que ceux-ci seront publiés à l’international (hormis dans le cas du dépôt simplifié, voir plus haut), il peut donc y avoir des arbitrages à faire – nous revenons là à la stratégie de protection des œuvres.
5/ Comment se prémunir de la contrefaçon ?
- protéger ses créations
- établir une veille / surveillance
- enregistrer auprès de la DGCCRF les titres de PI en vigueur (marques, dessins & modèles) : les services des douanes seront alertés, la surveillance sera accrue lors de l’importation de marchandises
Quand une contrefaçon est identifiée, FAIRE DES ATTAQUES IMMEDIATES et transmettre l’information aux douanes pour limiter la casse : la première étape de mise en garde ne coute rien, et on peut arriver à un accord.
- La saisie de la contrefaçon permet d’éviter la contagion
- Cela permet de faire savoir que sa marque réagit toujours
ATTENTION : le principe des 7 distinctions est un mythe : Les tribunaux se basent plutôt sur une analyse des ressemblances que des différences pour qualifier une contrefaçon.
6/ Les créations appartient-elle au designer ou à l’entreprise ?
Qu’il soit salarié ou non de l’entreprise, le designer est considéré comme un auteur, qu’il crée des œuvres uniques ou industrialisées, et y compris dans les créations de commande.
Dans ce cas peut être mis en place un contrat de cession de droits d’auteur (qui doit être explicitement mentionnée dans le contrat de commande pour être valable). A noter que cette cession a peu de valeur si elle est faite à titre gratuit.
Quelques caractéristiques de la cession des droits d’auteur :
- les droits moraux (droit au nom) sont incessibles
- pour les droits patrimoniaux (reproduction / représentation) : chacun des droits cédés doit faire l’objet d’une mention distincte et explicite dans l’acte de cession (la mention « tous droits cédés » n’est pas valable), et le domaine d’exploitation des droits cédés doit être délimité quant à son étendue, sa destination, son lieu, sa durée
- son interprétation par les tribunaux est stricte…
7/ Quelques mots sur les différences de protection du design au niveau communautaire, et en particulier en Italie
Même si le droit communautaire fait actuellement converger les pratiques, des différences substantielles existent encore entre les droits des pays de l’union européenne.
En Italie, les fameuses créations de fauteuils et canapés de Le Corbusier par exemple n’ont été reconnues protégeables par le droit d’auteur en Italie qu’à partir de 2004.
Cela est dû à l’évolution du droit Italien : avant 2001, il n’était possible de protéger les créations design en Italie que par le dépôt d’un dessin et modèle ; elles tombaient donc dans le domaine public à son expiration.
Depuis avril 2001, le droit italien admet le cumul des protections du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles sur une création design. Une difficulté demeurait cependant : ceux qui fabriquaient, faisaient fabriquer ou importaient ces créations avant l’entrée en vigueur de la loi, se retrouvaient alors susceptibles d’être attaqués en contrefaçon par les créateurs. Une disposition transitoire a donc été mise en place, autorisant la poursuite de la fabrication et de la vente de ces créations pendant une période illimitée. Les créations design récentes étaient donc mieux protégées que les anciennes…
Suite à un litige relatif à la célèbre lampe Arco, l’Italie a modifié sa législation en août 2010 : les créations design tombées dans le domaine public avant 2001 ne peuvent plus être librement exploitées et peuvent donc désormais faire l’objet d’actions en contrefaçon.
Autre nuance : la notion de « crowded art » (secteur où le nombre d’antériorité est tel qu’il est difficile de déterminer la création nouvelle) est plus prégnante en Italie…
Nous remercions Maitre Delphine BASTIEN, avocate spécialisée en propriété intellectuelle, pour sa brillante démonstration dans le cadre du club des sous-traitants du luxe organisé par la CCIP, et ses conseils. Merci également à Jacques Leroux, Délégué filière création-mode-design de la CCIP, pour l’organisation de ce club.
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