L’essentiel :
- L’approche design peut permettre de créer une niche profitable même sur un marché réputé encombré, en conférant à la marque une image forte, et en faisant apparaitre des innovations issues de l’analyse des fonctions (en particulier dans une industrie très codifiée).
- La créativité nait des contraintes fortes, qu’elles soient dues au monde de l’artisanat, aux impératifs des high-tech, ou au poids de la tradition.
- Les partenariats industriels sont cruciaux dans une industrie du luxe, mais changent de nature selon la phase dans laquelle se trouve l’entreprise et peuvent requérir des changements d’alliance.
- Les enseignements des industries du luxe sont riches pour tous les secteurs industriels, car les problématiques de concurrence, de volatilité et d’exigence de la clientèle, et de contraintes de production y sont amplifiées à l’extrême
Bell & Ross est un OVNI dans l’industrie horlogère qui est extrêmement conservatrice et codifiée : il existe en Europe 600 marques de montres, pour la plupart historiques. Et cependant cette marque de moins de 20 ans d’existence bénéficie à la fois d’une image et d’une notoriété exceptionnelles sur les marchés internationaux du luxe…
Dans les années 80, Swatch, en période de gave crise interne, avait fait le pari de la démystification de la montre en moyenne gamme, en énonçant qu’il était envisageable d’avoir plusieurs montres –et a réussi malgré la levée de bouclier de la profession ! Mais Swatch disposait déjà d’une infrastructure, d’un existant.
Pour Bell & Ross, le pari a été d’être un nouvel entrant sur un marché haut de gamme, considéré comme encombré, en innovant grâce au design.
Bruno Belamich avait développé une montre en projet de fin d’étude de à l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieur de Création Industrielle), et son ami d’enfance Carlos Rosillo y a immédiatement cru. Ainsi est née la société Bell & Ross en 1992.
Bruno Belamich nous raconte aujourd’hui les fondements de cette entreprise en termes de positionnement de marque et d’approche produit.
Q. : Monsieur Belamich, quel a été le point de départ de la conception de vos montres ?
Bruno BELAMICH : L’inspiration de Bell & Ross prend sa source dans les besoins des militaires, dans l’univers des pionniers de l’aviation, et dans le principe « la fonction fait la forme ».
Le cahier des charges standard, pour des utilisateurs exigeants comme des pilotes, serait une montre efficace, lisible et fiable.
En somme, nous voulions réaliser des montres :
- parfaitement conçues
- haut de gamme
- instrumentales
- professionnelles
- ayant un image forte, cette montre voulant faire rêver, en touchant aux fantasmes liés à cet univers particuliers…
L’esprit n’a pas changé depuis cette intention initiale, instinctive.
C’était un positionnement extrêmement nouveau pour ce marché codifié à l’extrême… Une petite illustration du point auquel cette industrie est codifiée : regardez toutes les montres en photos ou en démonstration. Elles indiquent systématiquement 10h10, 36 sec… C’est dire si symboliquement le temps s’est arrêté dans cette industrie !
Q. : Comment avez-vous démarré votre activité ?
BB : Nous avons immédiatement mis en place un partenariat fondateur avec la société Allemande Sinn, fabricant de montres techniques et de qualité, afin de développer le prototype et les premiers modèles.
Lorsque la première montre est sortie en 1994, la mode était au luxe tapageur. La montre Bell&Ross a –par une heureuse conjonction- pris le contre-pied du marché avec sa sobriété et son inspiration années 40’s. Cela nous a permis de nous démarquer dès le début.
Q. : Comment avez-vous développé votre gamme, après la période du lancement ?
BB : A partir de 2005, nous avons pris le temps de revenir aux sources de notre design, en verbalisant ce qui avait jusqu’alors été en grande partie une histoire d’instinct, et en harmonisant notre ligne.
Quand l’on se penche sur l’histoire du secteur, la première guerre mondiale et l’invention de l’aéronautique ont provoqué une révolution dans le monde de l’horlogerie : le pilote devait se fier en permanence à sa vision et au temps, pour calculer les distance, le temps de carburant restant… la montre de l’homme initialement uniquement portée en gousset, est passée au bracelet, qui était jusqu’alors exclusivement réservée à la femme… le temps qui était un luxe est devenu une indication vitale.
Le prestige des pilotes et les valeurs viriles qu’ils portaient ont fini de faire de cet objet un symbole et l’ont popularisé.
Cette période héroïque est fortement porteuse d’inspiration pour Bell&Ross, nous avons suivi ce retour aux sources. Nous avons donc décidé de « faire du tableau de bord une montre ».
C’est ainsi que nous avons remise au goût du jour la montre de pilote des années 50/60
Dans le prolongement de cela, nous présenterons à la rentrée une montre à gousset, notre gamme racontera ainsi par elle-même cette histoire. Nous n’espérons pas ainsi révolutionner le marché par l’adoption massive d’un nouvel usage, mais plutôt ajouter de la cohérence à notre offre et notre histoire…
En 1995 nous avons changé de stratégie industrielle, le partenariat avec Sinn ne correspondant plus avec nos objectifs. Nous avons alors rencontré Chanel qui a pris une participation minoritaire. Ce partenariat nous a apporté des ressources essentielles pour soutenir notre croissance : la mise à disposition de sa manufacture Suisse et sa précieuse expérience y compris dans le domaine de la céramique, et leurs services juridiques si importants dans ce secteur du luxe.
Q. : Quels ont été les résultats ?
BB : La consécration est arrivée rapidement, quand le RAID nous a passé une commande en 1999, suivi ensuite de l’armée de l’air, pour leurs montres statutaires.
Nous avons pu régulièrement renouveler l’intérêt pour nos montres en innovant sur différents plans :
- technique : par exemple la montre Radar dont les différents cadrans sont sur un même plan
- formel : lorsque nous avons élargi la gamme avec tous les matériels du cockpit
- symbolique : avec l’utilisation de la tête de mort pour la montre Airborne, sa fonction principale étant d’être une vanité…
Il est intéressant de noter ici que ce sont les contraintes de départ qui peuvent donner naissance à une immense créativité…
Q. : Comment Bell&Ross est-il organisé ?
BB : Nous avons un fonctionnement proche de l’artisanat d’art : nous faisons tout le travail de conception en interne. Je suis directeur de la création et je dirige tant les produits que l’univers de la marque, avec la collaboration d’un designer technique pour les problématiques d’horlogerie. Nous avons également trois graphistes.
Bell&Ross c’est :
- 50 personnes en France, siège social de la marque
- 3 filiales : US, Angleterre, Espagne
- la manufacture est réalisée par la société suisse Châtelain, filiale de Chanel (ligne de sous-traitance spécifique de La Chaux-de-Fonds, plus un atelier pour les séries limitées)
Q. : Quel est le cycle de développement standard ?
BB : Le pipe-line d’idées a un horizon moyen de 2 ans : après un an de travail, les prototypes sont généralement présentés à Bâle en mars, pour être sur le marché en septembre.
Q. : Quel conseil donneriez-vous aux patrons de PME/PMI confrontés à un marché saturé ?
BB :
Ne pas céder aux sirènes commerciales en s’éloignant peu à peu de l’identité de leur marque ; et cultiver sa différence.
Merci Monsieur Belamich pour ces explications, nous vous souhaitons le meilleur pour la suite de cette belle histoire !
Fiche d’identification de l’entreprise
- Nom : Bell & Ross
- Dirigeants : Bruno BELAMICH et Carlos ROSILLO
- Secteur : Fabricant d’articles d’horlogerie
- Date de création : 1992
- Localisation : Paris
- Effectif : 50 personnes en France
- Exportation : répartition des ventes
- 50 % Europe (FR / UK / ES / …)
- 50 % US, Moyen Orient et Asie
- Produits : 3 collections :
- Vintage : Inspirée des montres d’aviateur des années 40-50
- Aviation : Reprenant les principes de lisibilité des compteurs équipant les tableaux de bord d’avions
- Marine : Montres de plongée professionnelle étanches à 1000m