L’essentiel :
- Une période de crise est l’opportunité de réfléchir au cœur de métier de l’entreprise et de mener des recherches prospectives, sans idée préconçue.
- Les coûts d’une démarche design peuvent être couverts par de nombreux dispositifs d’aide à l’innovation.
- Un partenariat complet avec les designers, avec un vrai échange en confiance, est essentiel pour la réussite des produits… Il est pour cela important de bien les sélectionner avec soin et de bien les brieffer.
- Une démarche design correctement amenée auprès des équipes peut être un facteur fort de motivation des équipes autour du projet de la société.
Le fabriquant centenaire français de brosses Julio, installé près de Nantes, est apparu sur le marché de la décoration et de l’ameublement avec un objet étonnant, le tabouret « Papa », lors du dernier salon Maison & Objet. Ce fabriquant spécialiste des brosses techniques et industrielles a ainsi réussi son pari de la diversification d’une activité de sous-traitance vers une activité d’édition design.
Elle s’est faite sous l’impulsion de ses dirigeants, Jean-Baptiste et François-Marie Julio, qui ont repris la société familiale en 2009. Et plus spécifiquement pour la partie design par Jean-Baptiste, après avoir fait ses armes chez Bénéteau dans le développement de nouveaux produits.
Il nous explique aujourd’hui pourquoi et comment son entreprise a effectué cette transformation.
Q. : Monsieur Julio, pouvez-vous nous résumer l’histoire de la société Julio ?
Jean-Baptiste JULIO : La société Julio a été créée en 1940 par mon grand père Georges JULIO. Le métier, traditionnel dans la localité et extrêmement artisanal, était de fixer du crin de cheval sur une matrice, cousue sur un cadre en bois.
Il a rapidement spécialisé certains de ses produits sur les applications industrielles en brosserie et minoterie.
Dans les années 70, avec l’apparition de la concurrence internationale et avec l’arrivée d’une nouvelle génération (mon père André JULIO), la société a abandonné les usages domestiques pour se consacrer totalement aux usages mécaniques (offsets etc.) en utilisant les matériaux plastiques, nylon, etc. Le savoir-faire de la société s’est spécialisé et a permis de répondre à des cahier des charges extrêmement précis de la part des industriels, pour des applications de guidage, portage, etc. Nos clients sont aujourd’hui parfois extrêmement pointus, puisque nous fournissons des pièces par exemples pour les mirages, A380, etc.
Notre métier repose aujourd’hui sur l’alliance d’un savoir-faire artisanal, d’un rendu très technique et d’un niveau de qualité irréprochable.
Q. : Quelle a été l’impulsion qui vous a poussé à sortir de ce secteur extrêmement pointu ?
JBJ : Je suis arrivé à la tête de l’entreprise alors que la crise frappait durement notre activité récurrente : l’activité de remplacement des brosses usées…
Cela a été l’opportunité pour nous d’opérer une réflexion sur le cœur de métier de Julio : une maitrise des matériaux, mais surtout un savoir-faire extraordinaire ! Certains ouvriers de la société sont des « mains en or » comparables aux prototypistes que j’ai pu rencontrer chez Bénéteau !
Ayant par ailleurs à titre personnel beaucoup d’intérêt pour les disciplines du design, j’ai contacté l’agence Usin-e, que j’avais identifiée dans la presse et dont la philosophie m’avait séduit…
Q. : Quel était votre objectif en engageant une démarche de design ?
JBJ : L’idée initiale était simplement de mener une recherche de potentialité, et non pas une recherche de rentabilité, puisque je n’avais pas de réseau de distribution. Il n’y a qu’en période de crise qu’on se permet de sortir du quotidien !
Bien sur, rapidement la discussion a porté sur le financement de l’opération. Je ne pouvais m’engager dès le début sur des royalties pour un projet aux finalités commerciales incertaines. Il fallait donc que je finance l’étude.
J’ai donc déposé un dossier au FRAC Pays de la Loire, et il m’a finalement couvert 80 % des 5.000 € de frais d’étude et de prototypage !
Outre l’aspect financier, le fait que le dossier a été accepté par le FRAC m’a confirmé dans mon choix, tant il est vrai que l’entrepreneur est seul devant ses choix ! Cela a été une caution importante pour mon projet.
Q. : Comment s’est déroulée votre collaboration avec l’agence Usin-e ?
JBJ : En mars 2010, lors du premier contact avec Usin-e, je leur ai montré le savoir-faire, les procédés de l’entreprise.
Ils ont mené leurs réflexions sur les fonctionnalités de la fibre et ont produit une série de croquis de contenants, de boites, capitalisant sur le réflexe tactile, la possibilité de saisir l’objet par la fibre…
Nous avons listé des projets de vide-poches, d’étuis à bouteilles… Deux projets sortaient du lots, celui d’un tabouret et d’une boite. Très rapidement grâce à l’engagement de notre atelier nous avons réalisé une maquette, puis un prototype, que nous avons montré en octobre 2010 à la biennale de Saint-Etienne.
Cette exposition a été pour nous l’occasion de nous confronter aux retours du public, puisque cela n’avait été jusqu’alors qu’un travail en interne, et nous avons été très agréablement surpris de la curiosité du public !
Nous avons également pris en compte quelques remarques pour ajuster le produit, et la V2 du tabouret « Papa » a été présentée en « talents à la carte » lors du salon Maison & Objet, avec des coloris variés et diverses améliorations…
Le retombées ont été excellentes : nombreuses parutions, 30 commandes fermes de boutiques de design et de distributeurs !
Je suis heureux d’avoir choisi des designers pointus [ndlr : Usin-e] : le salon Maison & Objet est un vrai salon professionnel, nous avons décidé de jouer la carte de la coédition de manière professionnelle : nos designers étaient de vrais partenaires, 100% impliqués dans la vente !
Q. : Vous avez donc immédiatement été confrontés à des problématiques de commercialisation…
JBJ : Oui, le problème qui est apparu alors était celui du positionnement : devions-nous nous présenter comme une brosserie, ou comme un éditeur ? Devions-nous présenter une brosse avec des pieds, ou un tabouret avec des fibres ?
Nous avons pris la décision d’établir une marque spécifique afin d’avoir une communication claire, et pour différencier nos clientèles, qui étaient désormais de deux ordres totalement différents. Certains revendeurs nous considèrent encore comme une usine, nous travaillons donc à développer notre marque…
Q. : Quel est le résultat à ce jour ?
JBJ : A ce jour, le tabouret « Papa » c’est 15.000 € de CA, pour un projet qui ne nous a presque rien couté en investissement puisqu’en majeure partie couvert par le FRAC…
Pour un projet établi sur une démarche prospective, c’est inespéré ! La dimension émotionnelle du produit a eu un impact énorme…
Q. : Quelles sont vos étapes suivantes ?
JBJ : Notre enjeux est à présent à développer notre marque, et de sortir de nouveaux produits
Les marseillais « Soupe de design » nous ont présenté leur concept de table basse « poil dans la main » qui nous a immédiatement plu…
Nous avons également un projet en cours avec les « M », que nous avons rencontrés de manière assez fortuite, pour des projets de miroirs et de porte-courrier.
Notre paln d’action porte également sur la distribution puisqu’il s’agit d’un métier à part entière, qui n’est pas le nôtre à l’origine. Cela aura nécessairement des impacts sur les capacités de production, mais nous tenons à conserver la maitrise de notre savoir-faire. Nous allons très prochainement signer un accord de distribution exclusive pour quelques-uns de nos produits sous notre propre marque, qui seront exposées lors du salon M&O de septembre 2011
Q. : Avez-vous rencontré des difficultés internes à mettre en place cette nouvelle activité ?
JBJ : Quelques réticences au début, ou plutôt des interrogations… Il s’agissait d’un changement culturel pour la société ! Mais la démarche a été rapidement extrêmement positive pour la motivation des équipes, certains ouvriers se révélant de vraie forces de proposition, et cela a de plus montré la volonté de la direction de faire progresser la société !
Q. : Quel conseil donneriez-vous aux patrons de PME/PMI ?
JBJ : Après avoir choisi des designers et les avoir brieffé, il faut respecter la démarche créative des designers… il faut juste apporter les contraintes techniques pour ne pas restreindre la créativité dans la démarche. Je recommande un partenariat complet avec les designers, un vrai échange en confiance, y compris sur la vente du produit sur le salon…
Merci Monsieur Julio, et nous souhaitons à votre entreprise une belle réussite dans cette nouvelle aventure…
Fiche d’identification de l’entreprise
- Nom : Brosserie Julio
- Dirigeant : Jean-Baptiste JULIO, Gérant
- Secteur : Fabrication d’articles de brosserie
- Activités :
- Julio Brosses techniques
- Julio Objets design
- Andrée Jardin (brosses de tradition)
- Date de création : 1940
- Localisation : LA CHAPELLE-SUR-ERDRE (44)
- Marché : monde
- Effectif : 8 employés
- CA annuel : 400 k€
- Designers :
- USIN-e (Papa stool)
- Soupe de design (Poil dans la main)
- Les M (Série HALO et COLLINE)