Les scénarios de sobriété numérique et d’écoconception pourraient réduire les émissions de 16 % d’ici 2030 et la consommation énergétique de 52 % (source : Arcep/Ademe). La mise en place d’une telle stratégie repose sur une évaluation holistique du cycle de vie des technologies, incluant l’extraction des ressources, la production, l’utilisation et la fin de vie des équipements, c’est à dire de l’optimisation des achats à la gestion des infrastructures.
1. Problématiques
- Impact énergétique des infrastructures numériques (ainsi que des équipements terminaux) : Les datacenters consomment énormément d’énergie et représentent une part croissante des émissions de GES. Leur gestion et optimisation sont des défis majeurs, en particulier pour les entreprises avec des infrastructures massives et complexes.
- Cycle de vie des équipements : La majorité de l’empreinte carbone des équipements numériques provient de leur fabrication. Une stratégie responsable doit donc s’attaquer à toutes les étapes du cycle de vie des technologies (de l’extraction des ressources à la fin de vie), ce qui peut être complexe à mettre en œuvre.
- Complexité de l’éco-conception : L’intégration de critères d’éco-conception dans les processus d’achat, de production et de développement des services numériques nécessite une transformation profonde des pratiques internes, ce qui peut engendrer des résistances ou nécessiter des investissements importants… En effet la première question que doit adresser l’écoconception est « en ai-je vraiment besoin ? » (du produit, de chacune de ses fonctionnalités…), induisant un renoncement qui peut être mal appréhendé s’il n’est pas bien accompagné (la question du sens est alors clé).
- Manque de standards harmonisés : L’absence de méthodologies standardisées pour mesurer l’impact environnemental du numérique complique la mise en œuvre de stratégies cohérentes. Il est difficile pour les entreprises de comparer leurs performances environnementales ou de suivre les progrès de manière fiable.
2. Actions concrètes pour les entreprises
Tout d’abord, changer de posture : passer d’une approche corrective à une approche « by design ». Cela signifie commencer par des mesures correctives à court terme, puis rapidement intégrer des outils, actions et procédures dès la conception, afin que la stratégie soit responsable dès le début.
2.1. PME :
- Optimiser les achats : Privilégier des équipements reconditionnés certifiés durables (EPEAT, Energy Star) pour réduire les impacts environnementaux et les coûts. https://label-nr.fr/les-bonnes-pratiques-du-numerique-responsable/
- Réduire le taux d’équipement par utilisateur et notamment éviter le 2èmeécran, surtout s’il est de technologie LED/OLED ; Favoriser la mutualisation des outils dans l’entreprise, notamment pour les populations nomade
- Allonger la durée de vie des équipements : (sans oublier l’infrastructure) : Réparer, réutiliser, et éviter les remplacements précoces, tout en systématisant le réemploi plutot que le recyclage des équipements fonctionnels
- Former les utilisateurs, les recentrer sur le sens et les mobiliser : charte comportementale (limiter les scan, sauvegardes, conservations de données, copies, …), actions participatives pour rechercher des idées pratiques issues des équipes
2.2. Grandes entreprises :
- Mesurer l’empreinte carbone des solutions numériques à l’aide d’outils comme l’analyse du cycle de vie des produits ou Carbonalyser pour évaluer et réduire l’impact des infrastructures numériques.
- Investir dans des infrastructures écologiques : Il est essentiel de normaliser et harmoniser lesméthodes de mesure de l’impact environnemental des activités numériques pour guider les entreprises vers une transformation responsable. Cela inclut l’optimisation de l’efficacité énergétique des infrastructures, en particulier des datacenters, dont l’indicateur PUE (Power Usage Effectiveness) est une référence clé pour évaluer leur performance énergétique, de même que le WUE(Water Usage Effectiveness) pour l’usage de l’eau, autre ressource sur laquelle la tension monte.
- Réduire le taux d’équipement par utilisateur et notamment éviter le 2èmeécran, surtout s’il est de technologie LED/OLED ;
- Optimiser l’usage des modèles d’IA : Utiliser des micro-modèles pour réduire l’empreinte énergétique tout en maintenant les performances.
- Ecoconcevoir les services numériques pour réduire les impacts associés à l’utilisation en réduisant le nombre de serveurs et la quantité de “réseaux” nécessaires et Réduire l’usage des ressources : Limiter l’usage du cloud, optimiser la gestion des données (stockage local, suppression régulière des fichiers inutiles) pour réduire la consommation énergétique. Mais rappelons que c’est marginal par rapport à l’impact de la fabrication des équipements.
2.3. Optimisation et Usage Raisonné des Technologies
Une stratégie numérique responsable doit inclure l’optimisation de l’usage des technologies numériques, notamment des intelligences artificielles (IA) et des équipements.
2.3.1. Optimisation des Modèles d’IA
Les modèles d’IA, en particulier les modèles génératifs, sont de grands consommateurs d’énergie. Si l’on peut évoquer la décarbonation de l’énergie — en France, plus de 70 % de l’électricité est d’origine nucléaire, donc décarbonée — la plupart des serveurs hébergeant ces modèles sont situés à l’étranger, souvent dans des régions où l’énergie est plus carbonée. Réduire l’empreinte énergétique de ces technologies est donc essentiel, notamment en optant pour des modèles plus petits et plus efficaces lorsque cela est possible (voir à ce sujet notre dossier sur l’utilisation de l’IA en entreprise).
Pourquoi les chatbots IA n’auraient-ils pas une étiquette énergétique, comme les ampoules ? À l’heure actuelle, nous connaissons très peu l’impact carbone et énergétique des systèmes récents d’IA générative, ce qui nous oblige à nous baser sur des estimations. Le coût énergétique et environnemental croissant de l’essor de l’intelligence artificielle suscite des inquiétudes, mais les mécanismes de politiques vertes existants offrent une voie vers une solution.
https://www.nature.com/articles/d41586-024-02680-3
Actions concrètes :
- Optimisation des modèles d’IA : Utiliser des micro-modèles pour les cas d’usage courants, afin de réduire la consommation énergétique tout en maintenant les performances requises.
- Usages responsables : Former les collaborateurs à l’utilisation rationnelle de l’IA, et n’utiliser ces technologies que lorsque les bénéfices justifient leur coût environnemental.
2.3.2. Engagement des Employés
Les collaborateurs jouent un rôle clé dans la mise en œuvre d’une stratégie numérique responsable. Leur sensibilisation aux bonnes pratiques permet de maximiser l’impact des actions menées.
Actions concrètes :
- Sensibiliser les collaborateurs aux pratiques de sobriété numérique : Encourager les défis internes liés à la réduction des déchets et à l’efficacité énergétique peut améliorer la productivité et l’engagement tout en réduisant les coûts opérationnels.
2.4. Les principaux labels et certifications liés au numérique responsable
Ces labels et certifications ont pour but de guider les entreprises vers des pratiques plus responsables et d’encourager le secteur numérique à minimiser son impact sur l’environnement. Ils offrent également une certaine transparence pour les consommateurs et les utilisateurs, en leur permettant de faire des choix éclairés en faveur de produits et services plus durables.
La méthode de certification repose généralement sur une évaluation tierce, des audits réguliers, et une conformité aux normes fixées par des organismes reconnus, afin d’assurer que les efforts en matière de durabilité sont vérifiés et crédibles. Ces labels peuvent également aider à promouvoir l’économie circulaire, l’efficacité énergétique, et la réduction des déchets électroniques.
2.4.1. À l’échelle française
2.4.1.1. Label Numérique Responsable (Label NR) : La référence !
Créé par l’Institut du Numérique Responsable (INR) et géré par l’Agence LUCIE, ce label est un référentiel exhaustif dédié à l’impact environnemental, économique et social du numérique. Il propose deux niveaux de labellisation, adaptés à la maturité des entreprises. Le processus comprend une formation, une auto-évaluation, et un audit qui vérifie l’application de critères spécifiques, comme la réduction de l’empreinte environnementale et l’écoconception des services numériques
2.4.1.2. Engagé RSE : le label de l’AFNOR
le label « Engagé RSE » est décerné par AFNOR Certification, principal organisme de certification en France. Basé sur la norme ISO 26000, référence internationale pour la responsabilité sociétale des organisations, il est également aligné sur des cadres tels que le Global Compact, les normes GRI et les ODD.
Le label évalue les pratiques RSE de l’entreprise à travers cinq chapitres sur la gestion, la production, la consommation et l’ancrage local, ainsi que trois chapitres sur les résultats économiques, sociaux et environnementaux. Au total, 54 critères sont analysés lors d’une évaluation sur le terrain par un auditeur qui interagit avec les employés et les parties prenantes.
Comme B-Corp, ce label ne traite pas spécifiquement du Numérique Responsable, mais si l’entreprise s’engage dans la décarbonation, le numérique sera pris en compte et pourra appuyer la labellisation.
https://certification.afnor.org/developpement-durable-rse/label-engage-rse
2.4.1.3. Label EPEAT (Electronic Product Environmental Assessment Tool) :
Bien qu’international, il est couramment utilisé en France. Ce label évalue l’impact environnemental des équipements électroniques sur leur cycle de vie complet. Il propose trois niveaux de certification (bronze, argent, or) et est particulièrement utilisé pour des produits comme les ordinateurs, téléphones et serveurs
https://www.archimag.com/numerique-responsable/2024/08/29/normes-labels-numerique-responsable
2.4.1.4. Greenspector :
Ce label se concentre sur l’écoconception des services numériques et évalue l’efficience des logiciels en termes de consommation énergétique, notamment pour les applications mobiles et web
https://greenspector.com/fr/accueil/
2.4.2. À l’échelle internationale
2.4.2.1. B-Corp : le label des entreprises à impact
Le label B Corp, originaire des États-Unis, s’adresse aux entreprises souhaitant démontrer leur engagement pour un impact positif sur l’environnement et la société. La labellisation repose sur un questionnaire ouvert à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur.
Ce « Business Impact Assessment » (BIA) comprend 200 questions sur l’impact des opérations et du modèle commercial de l’organisation dans cinq domaines clés : gouvernance, collaborateurs, collectivité, environnement et clients. Les entreprises obtenant plus de 80 points peuvent demander la certification « B-Certified », après un audit rigoureux par B Lab.
Bien que la certification B-Corp n’inclue pas de critères spécifiques au Numérique Responsable, son approche holistique et sa rigueur en matière d’engagement sociétal et environnemental permettent de valider des pratiques numériques plus sobres et inclusives.
2.4.2.2. ISO 14062, ISO 50001 et ISO 14001 :
Ces certifications ISO sont plus engageantes et plus exigeantes qu’un simple label…
ISO 14062 s’applique à la conception des produits, ISO 50001 se concentre sur l’efficacité énergétique, et ISO 14001 aborde globalement le management de l’impact environnemental de l’organisation.
Ces normes internationales sont essentielles pour les entreprises souhaitant intégrer des pratiques d’écoconception (ISO 14062), améliorer l’efficacité énergétique de leurs infrastructures, notamment les datacenters (ISO 50001), et établir les exigences relatives à un système de management environnemental (SME) (ISO 14001). Elles sont certifiables via des organismes accrédités comme l’Afnor
https://alliancegreenit.org/media/ressource-publication/guide-labels-agit.pdf
2.4.2.3. EcoVadis
EcoVadis est une plateforme d’évaluation qui fournit des notations de durabilité pour les entreprises, y compris celles du secteur numérique. Cette évaluation prend en compte plusieurs critères, notamment l’environnement, le travail et les droits humains, l’éthique, et les achats responsables.
L’évaluation EcoVadis repose sur des questionnaires détaillés et une vérification documentaire, suivie d’une notation sur une échelle de 0 à 100. Les entreprises ayant un score élevé reçoivent des médailles (or, argent, bronze) pour démontrer leur performance en matière de durabilité.
2.4.2.4. SBTi (Science Based Targets initiative) :
Cette certification internationale est une référence pour la réduction des émissions de GES selon les recommandations scientifiques. Les entreprises du secteur numérique peuvent y adhérer pour établir des objectifs conformes aux normes de l’accord de Paris
https://sciencebasedtargets.org
2.4.2.5. Code de Conduite Européen pour les Datacenters :
Ce code vise à améliorer l’efficacité énergétique des datacenters européens et à encourager une gestion durable des ressources numériques
https://www.francedatacenter.com/wp-content/uploads/2020/12/Code-de-Conduite_totalFR-1.pdf
3. Résultats attendus et bénéfices
- Réduction des coûts énergétiques grâce à des infrastructures plus efficientes, avec une réduction potentielle des coûts de 30 %.
- Renforcement de la compétitivité en se positionnant comme acteur responsable.
- Réduction des déchets électroniques et des émissions de GES par une meilleure gestion des équipements.
Nous revenons de façon approfondie sur les résultats attendus dans notre prochain article
Conclusion/Next steps
Pour maximiser les avantages de cette transformation, les entreprises doivent adopter une approche systématique et mesurable, intégrant la sobriété numérique dans l’ensemble de leurs opérations.