L’essentiel :
- Un designer peut apporter à une entreprise une vision systémique, et une créativité à toutes les étapes et dans toutes les activités de la société (y compris hors de la conception d’un produit). C’est la démarche de design management. Cette démarche et cette compétence sont indispensables au sein de toute entreprise.
- La conception du brief design (qui est différent d’un brief marketing) est cruciale : un mauvais brief donnera un mauvais produit…
- Le designer doit être une éponge au sein de l’entreprise et avec les clients : ECOUTER, reformuler, comprendre l’entreprise, poser des questions… Même s’il connaît le métier, un designer devra régulièrement faire appel à des conseils extérieurs pour conserver recul et objectivité.
- Designers et industriels ont besoin l’un de l’autre, il doivent fonctionner en relation partenariale plus que client / prestataire.
Designer industriel de formation (à l’ENSCI), Florence Hallouin a créé en 2009 la société « Génération Plume », une start-up éco-innovante et industrielle.
L’objet : produire une culotte-couche à la fois lavable et jetable, devant répondre aux exigences de jeunes parents qui souhaitent agir pour l’environnement tout en offrant le meilleur à leur enfant.
Le résultat : le « Hamac », un produit écologique et économique qui est également un véritable accessoire de mode, référencé par un nombre croissant de circuits de distribution…
Elle nous décrit aujourd’hui ses problématiques doubles d’entrepreneur et de designer…
Q. : Florence, quelle a été le point de départ de votre aventure entrepreneuriale ?
Florence HALLOUIN : J’ai travaillé en tant que designer industriel dans des groupes internationaux du luxe et responsable produit dans le département puériculture d’un grand groupe international.
Lorsque j’ai eu des enfants, j’ai essayé les couches lavables, par conviction, mais je n’ai absolument pas été satisfaite à leur usage.
En parallèle, j’avais quitté mon poste avec pour objectif de monter mon entreprise.
L’œil du designer, celui de la maman engagée, et la connaissance des processus de production m’ont fait penser qu’il y avait quelque chose à faire… C’était en Juin 2007.
Q. : Il s’agissait donc à la fois d’une opportunité business et d’une conviction citoyenne ?
FH : Entre sa naissance et ses 2 ans et demi, un enfant utilise environ 5.000 couches jetables, pour un budget moyen de 1.400 €.
En France, ce sont 4 milliards de couches jetables qui génèrent environ 600.000 tonnes de déchets chaque année, soit 3 % des ordures ménagères. Il y a donc un véritable enjeu à changer les habitudes dans ce domaine, en plus d’un vrai besoin primaire.
Q. : Comment avez-vous procédé pour mettre en œuvre votre projet ?
FH : J’ai tout d’abord été en mode projet pendant 2 ans et demi.
J’ai recherché pendant 1 an une solution technique, en suivant une démarche d’analyse de la valeur pour résoudre un à un tous les problèmes… et en utilisant mes enfants comme cobayes ! J’ai réalisé 80 prototypes (/maquettes fonctionnelles) avec les fournitures que j’avais identifiées comme répondant au cahier des charges (tant du point de vue des matériaux que des fournisseurs).
J’ai ensuite mené la phase d’étude de marché (phase à laquelle un designer n’est pas forcément préparé), en commençant par mener des questionnaires qualitatifs auprès des mamans sur les salons dédiés aux bébés (j’ai réalisé environ 100 interviews), afin d’obtenir des insights sur les besoins, les freins, le processus d’achat…
Après quoi j’ai validé les enseignements par une étude quantitative et réalisé une étude de la concurrence, pour finalement aboutir au montage du business plan.
Q. : Comment avez-vous financé votre phase de développement ?
FH : J’ai obtenu une première subvention du CRITT qui a financé le dépôt du premier brevet en janvier 2009. J’ai ensuite rejoint la formation HEC Challenge+ , dédiée aux porteurs de projet, et j’ai rapidement été identifiée par OSEO comme entreprise innovante…
En décembre 2009 j’ai créé la société, et Clémence OSSENT dont j’avait fait la connaissance au sein de HEC Entrepreneurs a immédiatement rejoint la société en tant que CFO. Nous avons rapidement recruté des stagiaires ingénieurs, qui sont à présent devenus salariés…
Nous avons à ce jour réalisé deux levées de fonds auprès de Business Angels. Nous nous réunissons tous les deux mois en comité stratégique, ce qui nous permet de bénéficier de leur regard extérieur et de leurs conseils.
Q. : Est-il facile pour un designer de se lancer dans l’entrepreneuriat ?
FH : Il existe 2 familles de designers :
* les créateurs, qui aiment changer régulièrement de projets, repartir sur de nouveaux challenges…
* les constructeurs, qui trouvent leur satisfaction en suivant et maitrisant un projet de bout en bout.
Dans ce dernier cas un designer doit pouvoir apporter à une entreprise une vision systémique, et une créativité à toutes les étapes et dans toutes les activités de la société, c’est ce qui fera la force de cette société.
Q. : Un projet d’entreprise est donc un projet design de votre point de vue ?
FH : Absolument, l’entreprise est un terrain de jeu formidable pour un designer… Les métiers de Génération Plume sont de :
- vendre
- innover
- gérer des process de production
Cela exige de nous de :
- maintenir un haut niveau de qualité
- contrôler en permanence nos productions
- faire preuve de créativité à tous les niveaux et en permanence
Nous nous imposons à cet effet de travailler en concertation permanente avec toutes les parties prenantes (la production par exemple est interrogée et écoutée) et dans le respect de tous. Le designer a un rôle sur tous ces points…
En revanche, même en tant que designer nous devons régulièrement faire appel à des conseils extérieurs. Nous avons par exemple fait appel à quelqu’un d’extérieur pour concevoir la Marque Hamac et nous aider à trouver son ADN. C’est un graphiste qui a exécuté le concept suivant le brief. Le nom Hamac est issu d’un focus group avec des parents.
Le conseil extérieur aide à reformuler les questions même si l’on connaît le métier, il aide à la prise de recul.
Q. : Quel a été le rapport entre le designer et le client dans votre démarche ?
FH : Le designer doit être une éponge : il doit uniquement écouter, et reformuler en permanence ! Il est important de seulement écouter pour ne pas influencer l’utilisateur ni essayer de lui vendre un concept, l’objectif étant de travailler en concertation avec lui pour apporter des améliorations à nos produits.
Nous sommes passés par un tiers pour les interactions avec les parents testeurs et les crèches avec lesquelles nous travaillons. Auparavant, j’avais recensé tous les biais qui auraient pu brouiller les retours en recrutant au mieux nos beta testeurs (les clients qui veulent proposer les solutions, ceux qui n’osent pas s’exprimer, ceux trop bienveillants etc.).
Il est extrêmement important pour nous de travailler en concertation avec les collectivités, les crèches : nous faisons de l’accompagnement au changement des habitudes.
Q. : Où en êtes-vous au bout d’un an de commercialisation ?
FH : Nous fabriquons un produit éco-conçu « made in France », ergonomique et issu de savoir-faire du luxe et du textile technique. Cela nous a valu d’être récompensés d’une étoile de l’observeur du design.
C’est un produit induisant un changement d’habitudes, nous avons un modèle économique relevant du développement durable… Le challenge du développement durable est relevable pour une jeune entreprise industrielle !
Nous avons un site vitrine http://www.hamac-paris.com/ sur lequel les parents trouvent les adresses des magasins qui commercialisent les produits, et trois principaux réseaux distribuent actuellement nos produits :
- Eveil&jeux
- Vert baudet
- Nature et découverte
Grace à la presse, la marque commence à jouir auprès du public d’une bonne reconnaissance…
Nous allons poursuivre le développement de gamme avec le lancement d’un maillot de bain avec barrière anti-germe fin mars, et nous avons d’autres dépôts de brevets en cours…
Q. : Quelle stratégie de propriété intellectuelle et d’investissements avez-vous sur ce marché ultra-concurrentiel ?
FH : Nous avons déposé le brevet un an avant la commercialisation, un autre est en cours de dépôt… Nous devons innover en continu, dans un marché ou beaucoup de brevets sont déposés, cela représente de gros investissements…
Plus qu’une simple vente de produit, il s’agit d’un changement d’habitude. Cela demande donc à la fois investissements et accompagnement de notre clientèle.
Q. : Parlons chiffres…
FH :
- investissement en R&D :
- 200 k€ pour le lancemtnt
- 200 k€ pour les dev (depuis 1,5 ans), incluant PI, Labos de tests, Centres essais, Salaires, proto…
- montant des subventions / Aides : Oséo : 190 k€
- montant des levées de fonds : total 400 k€
Q. : Quelles difficultés particulières avez-vous rencontré ?
FH : Les aspects juridiques sur tous les contrats (commerciaux, brevets, actionnariat…) : il s’agit d’une vraie compétence externe -et de compétences différentes selon les contrats- qui représente un coût important pour une start-up, mais inévitable…
Q. : Quels conseils donneriez-vous aux créateurs d’entreprises et aux designers ?
FH :
- Aux entrepreneurs : allez tout de suite voir les réseaux : l’incubateur Agoranov, OSEO Excellence, le Réseau Entreprendre…
- Designers et industriels ont besoin l’un de l’autre. Ce sont des partenaires plus qu’une relation client / prestataire.
- Aux industriels : faites appel systématiquement à un designer
- Le brief que vous donnez aux designers est crucial : un mauvais brief donnera un mauvais produit… Et il ne s’agit pas d’un brief marketing
- Aux designers : ECOUTEZ, comprenez l’entreprise, posez des questions…
Merci Florence pour ces explications, nous suivrons la croissance de votre société avec grand intérêt…
Fiche d’identification de l’entreprise :
- Nom : Société Génération Plume, marque Hamac
- Dirigeants : Florence HALLOUIN (Présidente), Clémence OSSENT (CFO)
- Secteur : Fabrication d’articles de puériculture
- Date de création : déc. 2009
- Localisation : Paris
- Effectif : 6 personnes