Différencier et mettre en valeur par le design le savoir-faire d’une entreprise deux fois centenaire – Interview de Olivier PASSOT, PDG de Revol Porcelaine

L’essentiel :

  • Prise au niveau de la stratégie de l’entreprise, la méthodologie design peut permettre de donner une cohérence au portfolio, et de rationaliser la conception du produit en partant des usages, identifiant un concept, définition d’un brief, et développement du produit.
  • Une entreprise productrice et distributrice a besoin de designers, car création et fabrication sont des métiers différents. Des designers externes apporteront de la fraicheur, des idées, et de la remise en question.
  • Il faut prendre le temps de choisir un designer, prendre le temps de le briefer, et avoir une relation de confiance avec lui, c’est la base d’une collaboration fructueuse.
  • Il faut accepter la possibilité de l’échec dans une opération de design, car la création et l’innovation reposent sur un équilibre complexe de variables qui ne sont pas toutes maîtrisables.
  • La France a des compétences design exceptionnelles, et incontestées à l’international, et nous n’en avons pas assez conscience.



Revol porcelaine est une entreprise française de l’art de la table, installée dans la Drôme et fondée il y a 222 ans.
Cette entreprise conçoit, produit et commercialise sur place des plats, des assiettes et autres articles d’art de la table en porcelaine culinaire. Elle a pour clients les professionnels, tels que les restaurants gastronomiques, et le grand public.
Quatre millions de pièces sont produites chaque année et vendues dans 70 pays. Revol porcelaine est particulièrement dynamique et innovante (pour donner deux exemples récents, sur le plan du matériau on lui doit les ustensiles en porcelaine « noir effet fonte », ou sur le plan formel les verres à « effet froissé »).
Après avoir occupé les postes de Directeur Marketing, Directeur Commercial, Olivier Passot est depuis 2007 Président Directeur Général. Il nous explique aujourd’hui comment la marque allie un savoir-faire français synonyme d’artisanat et de qualité, à l’innovation permanente grâce au design pour soutenir sa politique d’expansion.

Q. : De quand date la prise en compte du design dans votre stratégie, et d’où est venue la décision d’engager une démarche design ?
Olivier PASSOT : Revol a toujours su innover pour suivre son marché, mais le premier tournant a été pris en 1997, lorsque nous avons fait appel à Régis Dho, qui était alors directeur artistique des Lampes Berger, sous l’impulsion de notre agence de communication Cap Horn. Nous n’avions alors pas de cohérence esthétique –sans même parler de signature à ce stade-.

Régis Dho nous a aidé à donner à nos produits une unité de forme, et nous a apporté l’approche design produit qui a débouché sur la création de collections (concept totalement nouveau pour nous alors).

Q. : La prise en compte de la démarche design était donc une amélioration incrémentale, non liée à un impératif stratégique ?
OP : Cet impératif est apparu en 2000 : avec la suppression des quotas européens à l’importation, nous nous sommes trouvés extrêmement durement attaqués par les fabricants chinois, qui proposaient des produits standard très proches des nôtres, mais à un prix 10 fois inférieur. Notre chiffre d’affaire est passé en trois ans de 6 millions d’euros à 2 millions d’euros sur les produits génériques.

Nous avons du réagir en capitalisant sur nos points forts : la qualité, les délais, le service. Et nous avons du progresser sur d’autres axes : l’esthétique, les nouvelles fonctionnalités, l’innovation dans les processus et matériaux.

Nous nous sommes trouvés en position de changer de métier : nous avons dû passer de fournisseur de produits sans marque, à concepteur – fabricant – marketeur, et c’est là que nous avons pris notre deuxième « tournant design », axé sur la marque.

Q. : Quelle méthode avez-vous suivie pour ce faire ?
OP : Nous avons amélioré notre démarche marketing, alors qu’elle était jusqu’alors relativement empirique, pour faire apparaître notre marque.

Nous avons également changé de méthode pour la conception des produits : après avoir découvert le design avec un directeur artistique externe, nous avons souhaité intégrer cette dimension et constituer un bureau de création interne, en mettant en place des collaboration ponctuelles avec des designers externes pour des missions.

Cette organisation nous a permis de retrouver une certaine liberté de création tout en rationalisant la conception du produit : nous partons des usages, identifions un concept, mettons en place un brief, et développons le produit

Je dirige le bureau de création, puisqu’elle est stratégique pour nous. Du design esthétique, nous sommes passés au design conceptuel, en cohérence avec le positionnement de la société, et prenant en compte son identité dans une logique de marque.

Nous avons progressivement -et en particulier grâce aux Sismo (agence de design)- mis en place une méthodologie design basée sur notre marque. Je dispose par exemple d’un outil qui me sert au quotidien dans mes prises de décision sur la stratégie produit qui est un filtre stratégique pour la création, basé sur les valeurs de la marque, les mots clef, …

Pour ce qui est des retours terrain, nous collaborons de manière étroite avec les grands chefs, qui sont nos premiers clients. Nous avons en particulier un partenariat avec le grand chef Régis MARCON, qui est pour nous une source d’inspiration permanente, et qui nous aide à valider nos concepts.

Q. : Comment décidez-vous de collaborer avec un designer ?
OP : La décision de collaboration avec un designer se fait sur des rencontres, de manière intuitive, et opportuniste…

Nous sommes extrêmement sollicité par des designers qui nous proposent des projets sans tenir compte de notre marque, de nos besoins. Cette approche ne nous convient pas, le designer doit comprendre l’entreprise et son savoir-faire. Et surtout il me paraît essentiel d’avoir un bon feeling avec le designer, et il n’y a pas de méthode pour cela, c’est extrêmement subjectif.

Commercialement, ce sont les produits développés en interne qui marchent le mieux (NDLR : la gamme des porcelaines « froissées » qui est un succès énorme est un produit développé en interne), mais nous continuerons à faire appel à des designers externes car ils nous apportent la fraicheur, des idées, une remise en question indispensable dans notre quotidien…

Q. : Avez-vous envisagé de faire appel à une grande griffe ?
OP : Effectivement, lorsque nous avons été mis en difficultés, nous avons eu cette tentation, pour faire des « coups », ce que j’appelle le design événementiel. Mais nous sommes finalement arrivés à la conclusion que nous avions tout intérêt à construire notre marque avec nos valeurs et nos référentiels pour que l’effet soit bénéfique sur la durée. Travailler avec un grand nom du design n’aurait finalement pas mis en valeur notre marque mais la leur !

Q. : Parlons chiffres :
OP : Le poste design représente environ 30.000 € / an, pour un CA annuel de 16 Millions €.

Nos projets sont pour moitié des créations internes, pour moitié externes. Nous rémunérons les designers en royalties (limités dans le temps) ou à la commande, selon les dossiers.

Un projet dure en moyenne un an de l’idée initiale à la sortie de l’usine.

Q. : Comment voyez-vous le coût du design, et son retour sur investissement ?
OP : Tout le problème est de bien choisir le designer.

Le retour sur investissement du design est évident en pratique, sauf si cela ne marche pas avec le designer, et là effectivement cela peut représenter des coûts non négligeables.

Il est donc indispensable de bien prendre le temps de le choisir, de bien prendre le temps de le briefer.

Et il faut savoir arrêter un processus de design si l’on n’y croit plus.
Mieux vaut perdre l’investissement en amont plutôt que d’aller vers un échec pour la simple raison que l’on a déjà misé de l’argent sur le projet. J’ai été à quelques reprise confronté à ce type de situation de devoir stopper une collaboration en cours de projet, et je ne le regrette pas : il faut accepter le fait que l’on fait parfois fausse route… une collaboration repose sur un ensemble de facteurs qui sont le feeling, le moment, la stratégie, la tendance du marché, etc. et c’est un équilibre délicat, il est normal de se tromper parfois.

Q. : Quel conseil donneriez-vous aux patrons de PME/PMI ?
OP : Il faut aborder le design de manière positive ! Il est un bon moyen de se remettre en question.

Il faut accepter de ne pas savoir tout faire, et la création n’est pas le même métier que la fabrication… On a donc besoin de designers.

Il faut prendre le temps de choisir un designer, et avoir un bon feeling, car il est important d’apprécier et d’avoir une relation de confiance avec quelqu’un a qui on va transmettre tant la stratégie de la société que des idées très personnelles, et auquel on va consacrer du temps.

Il faut accepter l’échec.

Moi qui ai pas mal voyagé, j’ai pu me rendre compte que la France a des ressources énormes en termes de compétences design, et que nos talents sont reconnus à l’international. Nous avons des capacités fantastiques, à nous de savoir en tirer profit !

Merci Monsieur Passot, et nous souhaitons encore de nombreux centenaires à Revol !

Fiche d’identification de l’entreprise

  • Nom : Revol Porcelaine SA
  • Dirigeant : Olivier PASSOT, PDG
  • Secteur : Fabrication d’articles culinaires en porcelaine pour le four et pour la table
  • Produits : L’usine produit 4 millions de pièces chaque année avec 4000 références d’articles, répartis en :
    • 50 % : restauration
    • 35 % : grand public
    • 15 % : produits publicitaires
  • Date de création : 1789
  • Localisation : Saint-Uze (26)
  • Marché : monde
  • Effectif : 200 employés
  • CA annuel : 16 M€
  • Exportation : 70 pays
  • Designers :

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